Un plant de marijuana dans la réserve indigène de Toez, en Colombie. | LUIS ROBAYO / AFP

Le Parlement italien étudie depuis lundi 25 juillet un projet de loi, porté par 218 parlementaires, sur la légalisation de la consommation, de la détention et de l’autoproduction de cannabis. S’il était adopté, l’Italie deviendrait le premier pays de l’Union européenne à franchir ce pas qui fait beaucoup débat ailleurs.

Ce que prévoit le projet

La consommation resterait interdite dans les lieux publics, la détention ne pourrait dépasser 15 grammes à domicile et 5 grammes à l’extérieur, et la culture serait limitée à cinq plants – le reste de la production étant géré par un monopole d’Etat.

La proposition intervient quelques mois après la « session extraordinaire sur le problème mondial de la drogue » du 19 au 21 avril à l’Assemblée générale des Nations unies. Lors de cette réunion, les solutions proposées reposaient davantage sur « une démarche plus humaine, respectueuse des droits de l’homme et fondée sur des preuves scientifiques », que sur les politiques répressives prévues par le plan d’action 2009-2019, selon le président de séance Jean-Francis Régis Zinsou.

Etat des lieux de la législation

« Dépénalisation », « légalisation », « contraventionnalisation », les possibilités sont nombreuses et souvent mal définies lors des débats. Elles représentent diverses possibilités qui se recoupent parfois, sans être exactement équivalentes, comme l’explique l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies.

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Contraventionnalisation

Qu'est-ce que ça veut dire ?

Parmi les trois catégories d'infraction pénale dans le droit français, la contravention est la moins grave (viennent ensuite les délits, puis les crimes). Cette distinction peut varier selon la juridiction d'un pays, ce qui peut rendre difficile la comparaison des législations d'un pays à l'autre. En France, une contraventionnalisation de la consommation et/ou de la détention de cannabis reviendrait à remplacer les peines d'emprisonnement encourues actuellement par des amendes, éventuellement forfaitaires. Dans une telle situation, le cannabis resterait prohibé, mais les infractions seraient moins lourdement sanctionnées. Actuellement, l'usage de stupéfiants est passible d'une peine maximale d'un an d'emprisonnement et d'une amende de 3 750 euros, même si la transaction pénale pour les auteurs de petits délits, introduite en octobre 2015, permet aux usagers simples d'éviter le tribunal en payant une amende à la police.

Décriminalisation

Qu'est-ce que ça veut dire ?

Un faux ami venu de la langue anglaise (la notion de crime n'est pas équivalente en français et en anglais). Décriminaliser désigne la disparition de toute sanction pénale et du statut même d'infraction pénale. C'est par exemple le cas au Portugal, où la détention de cannabis est une infraction administrative. Or, en France, le crime correspond à la catégorie la plus élevée d'infraction pénale. En toute rigueur, on pourrait donc "décriminaliser" l'usage de cannabis, tout en maintenant son statut d'infraction pénale : il deviendrait un délit ou une contravention. Pour évoquer la suppression des sanctions pénales, on préférera donc l'emploi du terme "dépénalisation", moins ambigu.

Dépénalisation

Qu'est-ce que ça veut dire ?

La dépénalisation est une réduction, voire une suppression, des sanctions pénales prévues par la loi. Elle englobe donc de nombreuses situations : la contraventionnalisation (réduction des sanctions) en est une forme puisque la sanction prévue par la loi pour usage de stupéfiants serait adoucie ; la suppression de toute sanction, avec toutefois maintien de l'interdit, en serait une autre forme. On distingue dépénalisation de droit et de fait dans le langage courant. Pour faire simple, une dépénalisation de droit revient à modifier le texte de la loi, alors qu'une dépénalisation de fait correspond à l'application de sanctions moindres que celles prévues par la loi. C'est par exemple le cas aux Pays-Bas, où la détention de cannabis n'est pas autorisée pour les particuliers, mais n'est que très rarement sanctionnée par les forces de police lorsque la quantité détenue n'excède pas 5 grammes.

Légalisation

Qu'est-ce que ça veut dire ?

La légalisation est la reconnaissance juridique d'une liberté. Autrement dit, légaliser le cannabis revient à lever l'interdiction d'en détenir ou d'en consommer. Dans le cas d'une légalisation du cannabis, l'Etat peut décider de garder le contrôle sur la production, la distribution et l'usage. Par exemple en interdisant la consommation dans les lieux publics (volet usage), ou en instaurant un monopole d'Etat (volet production et distribution) pour la vente du produit. Dans l'Union européenne, aucun pays n'a légalisé le cannabis en ce sens, pas même les Pays-Bas, qui sont souvent cités comme pionniers de la légalisation en Europe : la consommation y est autorisée, et la distribution autorisée sous restrictions, mais pour un particulier, la détention de cannabis n'est pas légale, même si elle est rarement sanctionnée. Aux Etats-Unis, les Etats ayant légalisé le cannabis ont mis en place un marché ouvert à la concurrence relativement souple. En Uruguay, la consommation, l'usage et la production sont légales, mais étroitement encadrés par l'Etat.

Libéralisation

Qu'est-ce que ça veut dire ?

Libéraliser un marché est le fait de l'ouvrir à la concurrence. L'Etat peut rester un des acteurs du marché, mais ne peut le réguler. Une libéralisation du cannabis non seulement rendrait légales la consommation, la détention et la production, mais ouvrirait également le marché, de telle sorte qu'il ne soit plus régulé que par la loi de l'offre et de la demande. Dans le cas du cannabis, c'est peu envisageable étant donné les enjeux de santé publique. Une solution souvent proposée, au moins temporairement, est une légalisation avec monopole d'Etat. La consommation et l'usage sont autorisés dans une certaine mesure, mais l'Etat garde le contrôle sur la production, la distribution, et les prix (alors plus élevés que le prix de marché), afin de contenir la demande du produit.

Depuis 2012, plusieurs territoires ont légalisé la consommation et, souvent quelques mois plus tard, le commerce du cannabis : l’Uruguay (2013), et, aux Etats-Unis, le Colorado (2012), l’Etat de Washington (2012), l’Oregon (2014), l’Alaska (2014) et le district de Colombia (2014). Au Canada, Jane Philpott, ministre de la santé, a annoncé la légalisation de la consommation et du commerce pour le printemps 2017, conformément aux promesses de campagne du premier ministre Justin Trudeau.

Le 11 avril, les propos du secrétaire d’Etat aux relations avec le parlement Jean-Marie Le Guen, qui évoquait « des mécanismes de légalisation contrôlée », avaient relancé pour un temps le débat sur la dépénalisation. En Europe de l’Ouest, la France est le seul pays où la consommation de cannabis est encore passible de sanctions pénales.

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Enjeux du débat

Les arguments pour

En France comme en Italie, les partisans de la dépénalisation ou de la légalisation évoquent souvent le coût de la lutte contre le marché noir, au regard de son inefficacité. En France, la majorité des interpellations ont lieu pour des cas d’usage simple – et la tendance est croissante.

D’après les chiffres de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, le nombre d’interpellations pour usage simple est passé de 25 000 à 150 000 entre 1990 et 2008, engorgeant les tribunaux correctionnels d’affaires mineures, qui n’ont aucun impact sur les trafiquants – alors que les interpellations pour trafic ou usage-revente sont restées stables depuis 1990.

Pourtant, la part de la population consommant ou ayant déjà consommé du cannabis ne diminue pas. En 2014, selon les chiffres du centre européen de surveillance des drogues et des addictions, 40 % des 15-64 ans avaient déjà consommé du cannabis, contre 30 % en 2005 et 23 % en  2000.

En Italie, la proposition de loi a reçu le soutien de la direction nationale antimafia, donnant d’autant plus de poids à l’idée que la prohibition et la répression ne parviennent pas à démanteler les réseaux de trafiquants. Benedetto Della Vedova, sénateur indépendant favorable à la légalisation, évoque de surcroît le basculement des sommes en jeu du marché noir vers les caisses de l’Etat :

« Nous voulons le contrôle, la dissuasion de la consommation par des mineurs, des forces de l’ordre qui s’occupent de crimes bien plus graves et que l’argent aille aux finances publiques plutôt qu’aux mafias. »

Les arguments contre

Pour certains opposants au projet, tels que la ministre de la santé Béatrice Lorenza, la légalisation ne mettra pas un terme au marché noir : « En réalité, ce sont les très jeunes qui consomment de la drogue. Ils commencent à 11 ans. Il est donc évident qu’il y aura toujours un trafic parallèle très important en faveur des mineurs. » Est-ce une raison suffisante pour ne pas tenter de réduire le trafic du tout ? En 2014, environ 1,3 million d’Italiens âgés de 15 à 24 ans avaient consommé du cannabis pendant l’année. Parmi les 25-44 ans, on atteignait 1,9 million.

De l’autre côté de la balance, c’est la santé publique qui est mise en avant. Dépénaliser la consommation de cannabis reviendrait à inciter les consommateurs, notamment les plus jeunes, à consommer un produit réputé comme dangereux. Les effets courants de l’ingestion du tétrahydrocannabinol (THC), principale molécule active de la plante, sont connus : euphorie, apaisement, mais également somnolences, perte de mémoire, pouvant donner lieu à des accidents, notamment sur la route.

Pourtant, le cannabis tue beaucoup moins que l’alcool et le tabac. Rien d’étonnant à cela en termes absolus, tant les prévalences de la consommation d’alcool (95 % des 15-64 ans en 2014) et de tabac (81 %) sont plus élevées que celle du cannabis (40 %). Mais c’est également le cas en termes relatifs : pour 100 000 consommateurs occasionnels, on compte deux décès imputables à la consommation de cannabis seul. On en compte 124 imputables à l’alcool, et 243 au tabac, selon l’enquête Drames, l’INVS et l’OFDT.

Est-il possible d’intégrer le cannabis dans le circuit légal sans augmenter la consommation ?

Si l’on se fie aux exemples donnés par nos voisins européens, il est difficile d’affirmer que la dépénalisation incite à la consommation. En Espagne, de 1999 à 2005, la proportion d’adultes ayant déjà consommé du cannabis était passée de 19,8 % à 28,6 %, alors qu’elle s’est stabilisée depuis la dépénalisation en 2006 (autour de 29 % aujourd’hui).

Au Portugal, où la dépénalisation a pris effet en 2000, la prévalence est stable depuis dix ans (autour de 10 % des adultes), sans effet notable de la dépénalisation. En France, où le débat avance peu, la consommation n’a pas cessé d’augmenter depuis 1999.

La dépénalisation n'est pas corrélée aux quantités consommées
Prévalence de la consommation de cannabis au sein des 15-64 ans (en %)
Angleterre
France
Espagne
Portugal
Source : EMCDDA

Du côté des finances publiques, la légalisation apporterait rapidement des recettes considérables aux Etats concernés. Au Colorado, 16 000 emplois ont été créés en 2014 en lien avec le commerce du cannabis. Les taxes sur la vente de cannabis ont rapporté 135 milliards de dollars (120 milliards d’euros), dont 66 milliards de surplus réaffectés au financement de constructions d’écoles.

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Durée : 01:37

S’il est vrai que la simple dépénalisation n’apporterait aucune recette directe à l’Etat, elle diminuerait cependant l’ampleur des dépenses consacrées à la répression de la consommation et de la détention. En décembre 2014, le think tank Terra Nova avait estimé les dépenses et recettes de l’Etat associées à quatre scénarios – interdiction, dépénalisation, libéralisation et légalisation avec monopole d’Etat – en se prononçant fermement pour le dernier.

La légalisation diminuerait drastiquement les dépenses de l'Etat
Dépenses et recettes de l'Etat liées au cannabis dans quatre scénarii

L’existence d’une offre légale de cannabis réduirait considérablement la demande adressée aux trafiquants, en diminuant de fait l’attractivité des « carrières » de dealer, comme le soutient Howard S. Becker. Dans un article de la revue Déviance et société, publié en 2004, les auteurs relevaient un lien fort entre trafic de stupéfiants et exclusion socio-économique :

« Nous avons pu constater une installation quasi généralisée d’une économie parallèle, basée notamment sur le commerce des stupéfiants comme palliatif à l’exclusion socio-économique. »

Cette question a été soulevée par plusieurs participants lors de la session extraordinaire de l’ONU sur le problème mondial de la drogue. Parmi eux, le représentent des Bahamas, plaque tournante du trafic de drogues, a estimé qu’il fallait « renforcer les infrastructures de base et les moyens de subsistance durables pour éviter que la population ne se laisse tenter par ces activités criminelles ».