Légalisation du cannabis : l’Italie étudie la question
Légalisation du cannabis : l’Italie étudie la question
Par Romain Damian
Le Parlement italien étudie actuellement un projet de loi sur la légalisation du cannabis. S’il est voté, l’Italie serait le premier pays européen à franchir ce pas. Qu’est-ce que « légaliser » signifie ? Quelles en seraient les conséquences ? Décryptage.
Un plant de marijuana dans la réserve indigène de Toez, en Colombie. | LUIS ROBAYO / AFP
Le Parlement italien étudie depuis lundi 25 juillet un projet de loi, porté par 218 parlementaires, sur la légalisation de la consommation, de la détention et de l’autoproduction de cannabis. S’il était adopté, l’Italie deviendrait le premier pays de l’Union européenne à franchir ce pas qui fait beaucoup débat ailleurs.
Ce que prévoit le projet
La consommation resterait interdite dans les lieux publics, la détention ne pourrait dépasser 15 grammes à domicile et 5 grammes à l’extérieur, et la culture serait limitée à cinq plants – le reste de la production étant géré par un monopole d’Etat.
La proposition intervient quelques mois après la « session extraordinaire sur le problème mondial de la drogue » du 19 au 21 avril à l’Assemblée générale des Nations unies. Lors de cette réunion, les solutions proposées reposaient davantage sur « une démarche plus humaine, respectueuse des droits de l’homme et fondée sur des preuves scientifiques », que sur les politiques répressives prévues par le plan d’action 2009-2019, selon le président de séance Jean-Francis Régis Zinsou.
Etat des lieux de la législation
« Dépénalisation », « légalisation », « contraventionnalisation », les possibilités sont nombreuses et souvent mal définies lors des débats. Elles représentent diverses possibilités qui se recoupent parfois, sans être exactement équivalentes, comme l’explique l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies.
Depuis 2012, plusieurs territoires ont légalisé la consommation et, souvent quelques mois plus tard, le commerce du cannabis : l’Uruguay (2013), et, aux Etats-Unis, le Colorado (2012), l’Etat de Washington (2012), l’Oregon (2014), l’Alaska (2014) et le district de Colombia (2014). Au Canada, Jane Philpott, ministre de la santé, a annoncé la légalisation de la consommation et du commerce pour le printemps 2017, conformément aux promesses de campagne du premier ministre Justin Trudeau.
Le 11 avril, les propos du secrétaire d’Etat aux relations avec le parlement Jean-Marie Le Guen, qui évoquait « des mécanismes de légalisation contrôlée », avaient relancé pour un temps le débat sur la dépénalisation. En Europe de l’Ouest, la France est le seul pays où la consommation de cannabis est encore passible de sanctions pénales.
Enjeux du débat
Les arguments pour
En France comme en Italie, les partisans de la dépénalisation ou de la légalisation évoquent souvent le coût de la lutte contre le marché noir, au regard de son inefficacité. En France, la majorité des interpellations ont lieu pour des cas d’usage simple – et la tendance est croissante.
D’après les chiffres de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, le nombre d’interpellations pour usage simple est passé de 25 000 à 150 000 entre 1990 et 2008, engorgeant les tribunaux correctionnels d’affaires mineures, qui n’ont aucun impact sur les trafiquants – alors que les interpellations pour trafic ou usage-revente sont restées stables depuis 1990.
Pourtant, la part de la population consommant ou ayant déjà consommé du cannabis ne diminue pas. En 2014, selon les chiffres du centre européen de surveillance des drogues et des addictions, 40 % des 15-64 ans avaient déjà consommé du cannabis, contre 30 % en 2005 et 23 % en 2000.
En Italie, la proposition de loi a reçu le soutien de la direction nationale antimafia, donnant d’autant plus de poids à l’idée que la prohibition et la répression ne parviennent pas à démanteler les réseaux de trafiquants. Benedetto Della Vedova, sénateur indépendant favorable à la légalisation, évoque de surcroît le basculement des sommes en jeu du marché noir vers les caisses de l’Etat :
« Nous voulons le contrôle, la dissuasion de la consommation par des mineurs, des forces de l’ordre qui s’occupent de crimes bien plus graves et que l’argent aille aux finances publiques plutôt qu’aux mafias. »
Les arguments contre
Pour certains opposants au projet, tels que la ministre de la santé Béatrice Lorenza, la légalisation ne mettra pas un terme au marché noir : « En réalité, ce sont les très jeunes qui consomment de la drogue. Ils commencent à 11 ans. Il est donc évident qu’il y aura toujours un trafic parallèle très important en faveur des mineurs. » Est-ce une raison suffisante pour ne pas tenter de réduire le trafic du tout ? En 2014, environ 1,3 million d’Italiens âgés de 15 à 24 ans avaient consommé du cannabis pendant l’année. Parmi les 25-44 ans, on atteignait 1,9 million.
De l’autre côté de la balance, c’est la santé publique qui est mise en avant. Dépénaliser la consommation de cannabis reviendrait à inciter les consommateurs, notamment les plus jeunes, à consommer un produit réputé comme dangereux. Les effets courants de l’ingestion du tétrahydrocannabinol (THC), principale molécule active de la plante, sont connus : euphorie, apaisement, mais également somnolences, perte de mémoire, pouvant donner lieu à des accidents, notamment sur la route.
Pourtant, le cannabis tue beaucoup moins que l’alcool et le tabac. Rien d’étonnant à cela en termes absolus, tant les prévalences de la consommation d’alcool (95 % des 15-64 ans en 2014) et de tabac (81 %) sont plus élevées que celle du cannabis (40 %). Mais c’est également le cas en termes relatifs : pour 100 000 consommateurs occasionnels, on compte deux décès imputables à la consommation de cannabis seul. On en compte 124 imputables à l’alcool, et 243 au tabac, selon l’enquête Drames, l’INVS et l’OFDT.
Est-il possible d’intégrer le cannabis dans le circuit légal sans augmenter la consommation ?
Si l’on se fie aux exemples donnés par nos voisins européens, il est difficile d’affirmer que la dépénalisation incite à la consommation. En Espagne, de 1999 à 2005, la proportion d’adultes ayant déjà consommé du cannabis était passée de 19,8 % à 28,6 %, alors qu’elle s’est stabilisée depuis la dépénalisation en 2006 (autour de 29 % aujourd’hui).
Au Portugal, où la dépénalisation a pris effet en 2000, la prévalence est stable depuis dix ans (autour de 10 % des adultes), sans effet notable de la dépénalisation. En France, où le débat avance peu, la consommation n’a pas cessé d’augmenter depuis 1999.
Du côté des finances publiques, la légalisation apporterait rapidement des recettes considérables aux Etats concernés. Au Colorado, 16 000 emplois ont été créés en 2014 en lien avec le commerce du cannabis. Les taxes sur la vente de cannabis ont rapporté 135 milliards de dollars (120 milliards d’euros), dont 66 milliards de surplus réaffectés au financement de constructions d’écoles.
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Durée : 01:37
S’il est vrai que la simple dépénalisation n’apporterait aucune recette directe à l’Etat, elle diminuerait cependant l’ampleur des dépenses consacrées à la répression de la consommation et de la détention. En décembre 2014, le think tank Terra Nova avait estimé les dépenses et recettes de l’Etat associées à quatre scénarios – interdiction, dépénalisation, libéralisation et légalisation avec monopole d’Etat – en se prononçant fermement pour le dernier.
L’existence d’une offre légale de cannabis réduirait considérablement la demande adressée aux trafiquants, en diminuant de fait l’attractivité des « carrières » de dealer, comme le soutient Howard S. Becker. Dans un article de la revue Déviance et société, publié en 2004, les auteurs relevaient un lien fort entre trafic de stupéfiants et exclusion socio-économique :
« Nous avons pu constater une installation quasi généralisée d’une économie parallèle, basée notamment sur le commerce des stupéfiants comme palliatif à l’exclusion socio-économique. »
Cette question a été soulevée par plusieurs participants lors de la session extraordinaire de l’ONU sur le problème mondial de la drogue. Parmi eux, le représentent des Bahamas, plaque tournante du trafic de drogues, a estimé qu’il fallait « renforcer les infrastructures de base et les moyens de subsistance durables pour éviter que la population ne se laisse tenter par ces activités criminelles ».