A Marseille, la « journée burkini » vecteur d’une polémique politique
A Marseille, la « journée burkini » vecteur d’une polémique politique
Par Gilles Rof
L’association Smile 13, qui a privatisé un parc aquatique de la région, pourrait finalement annuler l’événement.
La préfecture de police refuse, pour l’heure, de prononcer une quelconque interdiction. | ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP
« Nous ne savons pas si nous allons maintenir notre événement. Nous attendons de voir si les messages de haine reçus aujourd’hui sont de simples mots ou de véritables menaces qui pourraient mettre en danger des enfants et des femmes venus simplement se baigner ». Trésorière de l’association Smile 13, Melisa Thivet, 33 ans, s’interrogeait, larmes dans la voix, jeudi 4 août, sur le devenir de la journée de privatisation d’un parc aquatique de la région marseillaise qui provoque une polémique nationale.
Prévu le 10 septembre, après les vacances, l’événement devait, selon l’association, permettre à des femmes musulmanes « de profiter des jeux et des activités du parc, en portant des vêtements couvrant leur corps, de la poitrine aux genoux ». Smile 13 a négocié auprès du Speedwater, parc privé de 4 hectares, un tarif « d’un peu moins de 15 000 euros », qu’elle comptait amortir « en attirant près de mille participantes », et surtout la permission de se baigner en « burkini » ou « jilbeb de bain », deux accessoires couvrant la totalité du corps.
L’association n’aura peut-être pas l’occasion d’annuler. Le sénateur Michel Amiel (Force du 13), maire des Pennes Mirabeau, commune des Bouches-du-Rhône où se situe le parc, a annoncé, jeudi, un arrêté interdisant l’événement, « au motif qu’il est susceptible de troubles à l’ordre public ». M. Amiel reconnaît « ne pas avoir eu de contact avec les organisateurs », mais considère la journée comme une « provocation dont on n’a pas besoin dans le contexte actuel ».
Contexte national électrique
La préfecture de police suit le sujet « avec grande attention » et « creuse le profil de l’association » mais refuse, pour l’heure, de prononcer une quelconque interdiction. Dans un communiqué, le Speedwater Park, très connu localement, a rappelé qu’en tant que société commerciale, il demeure « libre de privatiser son espace toute une journée à l’instar d’une salle des fêtes pour la célébration d’un mariage ».
Dans un contexte national électrique autour de la question de l’islam, la polémique a une claire origine politique. Elle a été lancée mercredi 3 août, par le sénateur et maire du 7e secteur de Marseille, le Front national Stéphane Ravier, et par la députée et maire du 6e secteur, Valérie Boyer (Les Républicains), avant d’être relayée par leurs partis respectifs. Très actifs sur les réseaux sociaux, où ils ont repéré l’annonce de Smile 13, M. Ravier et Mme Boyer devraient tous deux se présenter aux législatives de 2017 dans les circonscriptions de l’est et du nord de Marseille.
« Ils chassent les mêmes électeurs », assure la sénatrice PS Samia Ghali qui se dit « écœurée par cette polémique politique visant encore à stigmatiser les musulmans ». « Cette journée se passe dans un lieu privé, sans subvention publique. De quel droit empêche-t-on les gens de se baigner comme ils veulent ? », s’insurge Mme Ghali. « Je ne fais que jouer mon rôle d’alerte » rétorque Stéphane Ravier alors que Mme Boyer voit dans l’événement « l’expression visible de la volonté des intégristes de marquer leur territoire ».
La polémique ne semble pas avoir atteint la cité des Aygalades (16e), où l’association Smile 13, acronyme pour Sœurs marseillaises initiatrices de loisirs et d’entraide, a installé son siège en février. « J’ai entendu parler d’une association de femmes mais je ne suis pas sûr que ce soit celle-là », s’interroge Daniel Peres, représentant de l’amicale des locataires.
Pas de subvention publique
Nadia Guemdani, présidente de Smile 13, n’est pas à son domicile. Son fils assure qu’elle est partie depuis quelques jours en Algérie. « Avec son association, ma mère fait des activités pour que les femmes voilées sortent un peu de chez elles », raconte le jeune homme. Il confirme que Mme Guemdani donne également des cours d’arabe dans une mosquée des environs.
En avril dernier, 13 Habitat, le logeur social qui gère la cité, a refusé une salle à l’association. « Une enquête sociale a montré que ses activités n’étaient pas tournées vers l’ensemble des locataires », précise ses services.
Créée le 12 janvier 2015, Smile 13 dit réunir 200 membres et ne reçoit aucune subvention publique. Elle organise à l’année des cours d’aquagym dans une salle de sports du quartier chic du Prado (8e) et a attiré, le 9 juillet dernier, plusieurs dizaines de participantes pour une « Kermesse aquatique de l’Aïd », où le port du « burkini » était également la règle. Le lieu loué alors appartenait à la paroisse protestante de Marseille Nord.
« Nous sommes une association culturelle et sportive, insiste Melisa Thivet, pas cultuelle. On organise ces événements parce qu’il y a une demande ». Fondatrice de Smile 13, cette convertie à l’islam de 33 ans, qui dit « vivre à l’européenne » et « ne pas porter le voile », reconnaît aujourd’hui qu’elle n’avait pas mesuré la tension que pouvait susciter son événement. « On voulait juste passer une bonne journée entre femmes avec nos enfants » assure-t-elle. Naïveté ou aveuglement ?