La police américaine accuse Instragram d’avoir accru la tension avant une fusillade
La police américaine accuse Instragram d’avoir accru la tension avant une fusillade
Les services de police avaient demandé, avant la mort de Korryn Gaines, la suspension du compte de la jeune femme, retranchée avec un fusil dans son appartement.
Randallstown, dans le Maryland, devant l’appartement où la police a abattu une jeune femme après un siège de cinq heures. | Maya Earls / AP
Lundi 1er août, la police du Maryland a abattu une Américaine de 23 ans, Korryn Gaines, après cinq heures de confrontation. La jeune femme, armée d’un fusil à pompe, était retranchée dans son appartement avec son fils de 5 ans, et a refusé d’ouvrir aux policiers, qui venaient l’arrêter après qu’elle ne s’est pas présentée au tribunal, où elle devait être jugée pour une série de délits routiers et avoir résisté à son arrestation. La police affirme avoir ouvert le feu lorsque Korryn Gaines a pointé son arme sur eux, déclenchant un échange de tirs qui a été fatal à la jeune Afro-américaine et a blessé son fils.
La police a reconnu ce 2 août qu’elle avait demandé et obtenu la suspension du compte Instagram de la jeune femme durant le siège de son appartement. « Nous avons contacté les responsables du réseau social pour leur demander de désactiver son compte, a dit le chef de la police de Baltimore, James Johnson. Pourquoi ? Pour préserver l’intégrité des négociations et pour la sécurité de nos policiers et de son enfant. Mlle Gaines publiait des vidéos de l’opération en cours. Ses abonnés l’encourageaient à ne pas suivre les demandes de notre négociateur, qui lui demandait de se rendre pacifiquement. »
La police est là « pour nous tuer »
Une explication qui n’a pas convaincu les militants des droits civiques, dont l’American Civil Rights Union (ACLU), puissante organisation qui lutte contre les discriminations envers les Afro-américains, qui estime que « les choix tactiques de la police sont autant responsables de l’issue tragique de ce siège que les choix faits par Mlle Gaines ». L’ACLU écrit encore : « Dans ce type de situations, les forces de l’ordre se concentrent toujours sur la manière dont les civils ont accru la tension et rendu l’usage de la force “nécessaire”. Mais si les civils agissaient toujours calmement, se soumettaient toujours volontairement et sans heurts aux demandes des autorités, il n’y aurait pas besoin de forces de police. Bien sûr, ce n’est pas le monde dans lequel nous vivons. »
Les commentaires publiés sur Instagram ont-ils vraiment joué un rôle dans le refus de la jeune femme de se rendre ? Rien, pour l’instant, ne permet de l’affirmer avec certitude – les vidéos publiées par la jeune femme ne sont aujourd’hui toujours pas accessibles. La police affirme avoir demandé un mandat pour les obtenir et les utiliser comme preuves. En revanche, l’une des vidéos, dont des copies sont encore consultables, montre la jeune femme demander à son fils pourquoi la police est dehors, et ce dernier lui répondre « pour nous tuer ».
Les images comme preuve des violences
La mort de Korryn Gaines est la dernière en date d’une longue série d’Afro-américains tués par la police depuis le début de l’année – en juillet, trois hommes, tous noirs, ont été tués par la police dans des circonstances extrêmement troubles. Or, dans deux de ces cas, les images filmées par des témoins sur leurs téléphones portables ont montré que les forces de l’ordre avaient abattu des personnes qui ne présentaient aucun danger immédiat. Le 6 juillet, à Falcon Heights dans le Minnesota, Lavish Reynolds avait diffusé en direct sur Facebook Live les images de son compagnon agonisant, abattu lors d’un contrôle routier de routine par un policier. Elle affirme que la police a ensuite confisqué son téléphone et tenté d’effacer les images, qui montraient que son compagnon, assis à la place du conducteur, n’avait pas d’arme en main.
Sur les réseaux sociaux, des Américains soupçonnent la police du Maryland d’avoir demandé la suspension du compte Instagram de Korryn Gaines pour préparer un assaut et éviter que des images potentiellement compromettantes puissent être diffusées. Une suspicion renforcée par le fait que les policiers qui sont intervenus au domicile de la jeune femme ne portaient pas de caméras piéton, alors que le Maryland a récemment annoncé qu’il équiperait désormais ses policiers de ce dispositif, censé permettre de lutter contre les violences policières.
Facebook, propriétaire d’Instagram, est aussi la cible des critiques, qui l’accusent d’avoir cédé trop rapidement aux demandes de la police. Depuis le lancement de son service de vidéo en direct Facebook Live, le premier réseau social au monde s’est retrouvé dans un rôle inédit : celui de diffuseur d’images d’actualité en direct lors de multiples faits divers, dont la fusillade de Dallas du 7 juillet, durant laquelle cinq policiers ont été tués. Des organisations comme Black Lives Matter recommandent à leurs membres de filmer en direct lors de situations tendues, par mesure de protection, et la police apprécie peu de voir des images de ses opérations diffusées sur le réseau, plaçant l’entreprise dans une position d’arbitre face aux demandes des forces de l’ordre.