Un projet de loi s’attaque aux inégalités entre la métropole et les DOM-TOM
Un projet de loi s’attaque aux inégalités entre la métropole et les DOM-TOM
Par Patrick Roger
Le texte, présenté mercredi, doit permettre d’accéder enfin à « l’égalité réelle » entre la métropole et l’outre-mer. Mais il évite les questions les plus épineuses.
Trop tard, peut-être, mais enfin. Le projet de loi de programmation présenté mercredi 3 août en conseil des ministres pourrait marquer une étape capitale sur la voie de l’accession des départements et territoires d’outre-mer à l’« égalité réelle » avec la métropole. Encore faudra-t-il que les bonnes intentions affichées dans ce texte – dont l’examen en séance au Parlement devrait commencer début octobre – fassent l’objet d’un suivi rigoureux et systématique, quelle que soit la majorité au pouvoir, et ne subissent pas des révisions successives au gré de la situation budgétaire. « On peut espérer que les ultramarins ne laisseront pas défaire par de prochaines majorités ce que celle-ci aura porté », se plaît à croire la ministre des outre-mer, George Pau-Langevin.
L’article 1er du projet de loi affirme en préambule : « Dans un objectif d’égalité réelle, la réduction des écarts de développement que connaissent les populations d’outre-mer au sein du peuple français constitue une priorité de la nation. » Il ne s’agit donc pas, en l’occurrence, d’un choix de différenciation, porté vers l’autodétermination – même si la Nouvelle-Calédonie aura à se prononcer en 2018 par référendum sur son avenir institutionnel –, mais bien de renforcer l’ancrage des outre-mer « au sein du peuple français » par la réduction des inégalités. Le plan mis en œuvre se donne une durée « comprise entre dix et vingt ans », compte tenu de la spécificité de chaque territoire, pour parvenir à cet objectif.
Le projet de loi porté par la ministre des outre-mer et la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité réelle, Ericka Bareigts, fait suite au rapport commandé par François Hollande, à l’occasion de son déplacement en Guadeloupe, en mai 2015, à l’ancien ministre des outre-mer Victorin Lurel. Dans ce rapport rendu en mars, le député de la Guadeloupe estimait nécessaire de « décréter l’état d’urgence sociale » et de « mettre en œuvre un big bang économique et social ». Parmi ses propositions chocs, la régionalisation du smic ou la généralisation des zones franches, et donc du zéro charge sur les salaires, partout en outre-mer.
300 millions d’euros d’économie
Et, bien sûr, la fameuse question des surrémunérations des fonctionnaires d’Etat affectés dans les DOM-TOM – qui peuvent aller de 40 % dans la plupart des départements d’outre-mer (52 % à La Réunion) à 108 % en Polynésie française –, objets de critiques récurrentes. « On peut s’interroger sur l’adaptation de ce dispositif aux motifs qui ont justifié sa création », souligne M. Lurel, estimant que ces majorations, « qui peuvent s’apparenter en partie à une rente », ont un caractère inflationniste. Il propose de ramener le taux de surrémunération à 20 % dans les départements d’outre-mer et de le réduire de moitié dans les autres collectivités, ce qui générerait une économie pérenne d’environ 300 millions d’euros la première année et entre 70 et 80 millions les années suivantes. De quoi susciter de vives réactions syndicales.
Le projet de loi de programmation est nettement moins ambitieux : il évite les questions les plus épineuses et se contente d’adopter une stratégie de principe, tenant compte de la diversité des territoires d’outre-mer, pour réduire progressivement les écarts de niveaux de développement économiques, sociaux et environnementaux. Une démarche qui suppose que les plans de convergence des politiques publiques soient négociés entre l’Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics. Ce qui, reconnaît Mme Pau-Langevin, sera plus facile dans les collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution, régies par le principe d’identité législative, que dans les collectivités relevant de l’article 74, qui obéissent au principe de spécificité législative, ou en Nouvelle-Calédonie. Et cela sans que soit remis en cause le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.
Cette prudence, ce manque d’ambition dans la clarification des objectifs laissent de nombreux acteurs sur leur faim. Ainsi, dans son avis rendu le 13 juillet et adopté à l’unanimité, le Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser) de La Réunion estime qu’« il aurait été plus significatif et réaliste que les objectifs de ce projet reposent sur des lignes de force clairement et courageusement posées et non pas seulement sur une méthodologie ». « Nous sommes dans un chemin à étapes », se défend Mme Pau-Langevin, qui plaide pour « une procédure partagée ». Le Ceser, lui, fait clairement part de sa « déconvenue » et de son « scepticisme » et s’interroge sur la capacité de concrétisation de ce projet de loi. Le Conseil représentatif des Français d’outre-mer (Crefom), quant à lui, « émet des réserves sur les écueils de ce texte qui pourraient le rendre totalement creux et inapplicable si des correctifs n’étaient pas apportés à l’occasion de la discussion parlementaire ».
L’autre obstacle de taille, puisqu’il s’agit d’aller vers la convergence des niveaux de vie, consiste à définir des indicateurs permettant d’évaluer les progrès ou les retards. En réponse aux critiques exprimées ici et là sur l’« absence de concertation » préalable sur la définition de ces indicateurs et sur les objectifs, un site participatif a été ouvert sur le portail du ministère des outre-mer. La consultation, ouverte le 3 août jusqu’au 9 septembre, fera l’objet d’une synthèse permettant éventuellement d’enrichir le texte. Une démarche que la ministre revendique comme « un exercice de démocratie réelle ».
Infographie Le Monde