Une photo de Jacques Hamel, lors de ses obsèques dans la cathédrale de Rouen, mardi 2 août. | Charly Triballeau / AP

Un homme simple et réservé. Ces mots semblent faire l’unanimité chez les proches du prêtre Jacques Hamel, assassiné à l’âge de 85 ans, mardi 26 juillet, par deux djihadistes au cours d’une messe à Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime). Le jour de ses obsèques, célébrées mardi 2 août dans la majestueuse cathédrale gothique de Rouen, en présence de plus de 3 000 personnes, les proches et moins proches du « père Jacques », assuraient d’une même voix que la solennité de la cérémonie l’aurait embarrassé.

L’archevêque de Rouen, Dominique Lebrun, qui présidait la célébration, a d’ailleurs résumé l’ambivalence de la situation dans sa déclaration liminaire : « Nous voici rassemblés comme Jacques Hamel n’aurait pas aimé : dans une église solennelle, avec des personnalités et une foule, devant des caméras… Nous voici aussi comme le père Jacques aurait aimé : se mettre ensemble, communier, en étant attentifs les uns aux autres, sans exclure personne. » Un discours qui résume en quelques mots la personnalité de Jacques Hamel, dont le maigre visage, le regard perçant et le crâne dégarni ont fait le tour du monde en quelques jours. Plus encore, ce discours résume les fondamentaux de la foi catholique, faisant ainsi du prêtre défunt un symbole.

Enfant de chœur à 6 ans

Né à Darnétal le 30 novembre 1930 dans une famille catholique, Jacques Hamel devient dès l’âge de 6 ans enfant de chœur à l’église Saint-Paul à Rouen. A 10 ans, le petit blond, déjà très réservé, connaît par cœur ses formules en latin. « Le prêtre de la paroisse avait eu l’autorisation d’aller le chercher à l’école, qui était laïque ; alors Jacques quittait parfois les cours pour aller l’aider, pour des obsèques notamment », raconte l’une de ses deux sœurs, Roselyne, de dix ans sa cadette.

A 14 ans, il quitte l’école pour entrer au séminaire. Sa mère, très pieuse, accueille la nouvelle avec beaucoup de fierté. Son père, agent SNCF, un peu moins. « Il était très intelligent, alors mon père aurait préféré qu’il continue ses études. Il se disait qu’il pouvait avoir une meilleure place dans la société, il le voyait bien ingénieur », se souvient Roselyne.

A l’âge de 22 ans, en plein service militaire, il est appelé à servir en Algérie. Il racontera à ses proches qu’il y a frôlé la mort. Un événement qui a scellé sa foi. « Notre frère, pendant son service militaire en Algérie, a choisi de servir comme simple soldat. Pourquoi ? », interrogera Roselyne Hamel durant ses obsèques, avant de répondre à sa propre question, expliquant que Jacques Hamel, à qui l’on avait proposé un grade d’officier, refusait catégoriquement de « donner l’ordre à des hommes de tuer d’autres hommes ». Et d’ajouter :

« Il me confiait qu’au cours d’une fusillade dans une oasis, il avait été le seul survivant et il s’était souvent demandé : “Pourquoi moi ?” Aujourd’hui, Jacques, tu as ta réponse : Dieu t’a choisi pour être au service des autres. »

Quelques années plus tard, à l’âge de 28 ans, M. Hamel est ordonné prêtre à Rouen, il devient le père Jacques. Il ne s’éloignera jamais de cette région marquée par une forte histoire catholique, où il officiera jusqu’à sa mort. Durant son sacerdoce, long de cinquante-huit ans, il exerce à Petit-Quevilly, Sotteville-lès-Rouen ou encore Saint-Pierre-lès-Elbeuf. C’est à Cléon qu’il pensait exercer son dernier poste de curé de paroisse, quittant « fatigué », disait-on, cette commune multiculturelle où se trouve une usine Renault.

Un homme tient une photographie du père Hamel lors de ses obsèques à la cathédrale de Rouen, le 2 août. | JOEL SAGET / AFP

Mariages, baptêmes, obsèques

Il devient finalement curé de la paroisse de Saint-Etienne-du-Rouvray en 2000, avant de passer la main à un autre prêtre, plus jeune, en 2005. Censé prendre sa retraite, il n’a jamais voulu ralentir pour autant son activité, ne pouvant concevoir de ne pas rendre service à l’Eglise, cette fois « sans les contraintes et lourdes responsabilités du curé de paroisse », se souvient le vicaire général du diocèse de Rouen, Philippe Maheut, lors de la messe célébrée le jour de la mort du père Hamel à la cathédrale de Rouen.

En 2005, c’est Pierre Belhache, 35 ans, qui arrive dans la paroisse de la ville pour assumer les responsabilités de curé. « J’étais encore un “jeune” prêtre, disons un jeune adulte, et quand on travaille avec un frère aussi profondément investi et depuis si longtemps dans sa mission, ça force le respect », raconte le père Belhache. Une incessante activité qui était la bienvenue, compte tenu de la pénurie de prêtres dans le diocèse de Rouen.

Durant cette retraite, où il fait le choix de continuer en tant que prêtre auxiliaire, Jacques Hamel endosse toujours de nombreuses responsabilités, remplaçant le père congolais Auguste Moanda Phati, curé de la paroisse depuis quelques années, lors de ses absences. « C’est un prêtre courageux pour son âge. Les prêtres ont le droit à la retraite à partir de 75 ans, il a préféré continuer à travailler au service des gens car il se sentait encore fort », confie le curé de Saint-Etienne-du-Rouvray, qui avait pris quelques jours de vacances lorsque l’attaque est survenue.

Jusqu’au jour de son assassinat, M. Hamel aura participé à la vie de sa paroisse, voire même à celle de sa cité, célébrant mariages, baptêmes ou obsèques. Dans cette ville ouvrière d’un peu moins de 30 000 habitants, chaque Stéphanais l’avait approché. « Je connaissais bien le père Hamel, il a baptisé ma fille, et je le voyais tous les dimanches à la messe », confie Micheline, une paroissienne de Saint-Etienne-du-Rouvray, venue assister à ses obsèques.

Du kayak à 84 ans

Au-delà de son investissement sans faille pour les paroissiens, le père Hamel était un homme impliqué dans la vie sociale des municipalités où il a vécu. En témoigne le profil bigarré des personnes croisées à ses obsèques, comme Sandrine Auger, employée de la ville de Rouen, qui a rencontré le prêtre lors de manifestations sportives organisées dans la région. « Il aimait le sport, parce que c’est porteur de belles valeurs, comme la religion. Par exemple, le sport peut permettre de faire comprendre aux jeunes que lorsque l’on tombe, on peut se relever », commente la quadragénaire, qui a hérité du chat noir du père Hamel.

Un homme qui aimait le sport au point d’en faire, malgré son âgé avancé. « L’an dernier, à un retour de vacances, il s’est mis à nous raconter comment il avait pour la première fois fait du kayak avec sa sœur. A son âge, ça nous a fait rigoler », se souvient Antoinette Moulin, retraitée de La Poste, proche du père Hamel. Pour ses vacances d’été et de fin d’année, il n’était pas rare qu’il rende visite à sa sœur Roselyne, à ses nièces et petits-neveux, dans le Nord, près de Lille. Il restait également proche de son autre sœur et de son frère. « Il y a deux ans, il est parti avec le diocèse de Rouen dix jours à Jérusalem. C’était le grand voyage de sa vie, il voulait retrouver les lieux du christianisme », explique sa nièce, Angélique Deleporte.

« L’humain avant tout »

Dans la foule regroupée à la cathédrale de Rouen pour les obsèques, trois amies, une chrétienne et deux musulmanes, se remémorent leurs souvenirs avec le père Hamel. Deux d’entre elles, originaires de Saint-Etienne-du-Rouvray, confirment son ouverture d’esprit. Le mois dernier, il avait d’ailleurs délivré un message à ce sujet dans la lettre paroissiale :

« Puissions-nous, en ces moments entendre l’invitation de Dieu à prendre soin de ce monde, à en faire, là où nous vivons, un monde plus chaleureux, plus humain, plus fraternel. »

Du terrorisme, celui qui se faisait appeler « père Jacques » en discutait parfois, relate Antoinette Moulin, qui animait avec l’homme de foi un groupe de discussions pour personnes en difficulté depuis une dizaine d’années. « Comme souvent dans ce genre de discussions il peut y avoir des gens qui dérapent, qui font des amalgames sur le sujet. A ce moment-là, il intervenait toujours, disant qu’il ne fallait pas tout confondre, que chez nous aussi, il y avait des fondamentalistes et que ce n’était pas ça l’islam. »

Mohammed Karabila, président du Conseil du culte musulman de Haute-Normandie et de la mosquée de Saint-Etienne-du-Rouvray, voyait d’ailleurs en lui un « ami », « quelqu’un qui a donné sa vie aux autres ». « C’était l’humain avant tout », résume l’une des trois amies rencontrées sur le parvis de la cathédrale de Rouen, qui précise qu’elle croisait régulièrement le père Hamel dans le cadre de ses divers engagements associatifs. De nombreuses villes de la région rouennaise sont en effet marquées par un passé communiste qui se manifeste encore aujourd’hui par le biais d’associations très actives sur le terrain.

« Il ne cherchait pas l’éclat »

L’abbé Jean-Marie Héricher, 75 ans, délégué diocésal à la mission ouvrière, a rencontré de nombreuses fois celui qu’il appelle « Jacques » ; comme lui, il fréquentait la mission ouvrière [mission du diocèse auprès des mondes populaires], même s’il n’était pas membre de l’Action catholique ouvrière. « Il voulait aider les plus pauvres, il a toujours travaillé dans des paroisses marquées par les milieux populaires », fait-il remarquer, lui qui a aussi officé à Saint-Etienne-du-Rouvray. « Jacques avait choisi de rester ici parce que c’est une ville marquée par l’immigration, la différence », commente l’abbé ayant commencé son ministère en 1967 à Saint Etienne du Rouvray. Et de préciser :

« Il était toujours très attentif aux personnes, aux plus exploités par notre société, aux plus souffrants. Il ne faisait pas de grands discours idéologiques, mais sa présence dans les quartiers populaires de la ville parlait pour lui. »

« Il était au service, ne cherchait pas l’éclat. L’humilité ça le décrit bien », abonde Pierre Belhache. Lors de la cérémonie d’obsèques de son frère, Roselyne Hamel a dressé le portrait d’un homme « au service des autres », cultivant « l’amour, le partage et la tolérance entre les peuples de toutes confessions, croyants ou non-croyants, jusqu’à [son] dernier souffle. »

Un frère et un « tonton »

Dans la cathédrale de Rouen, le 2 août, lors des obsèques de Jacques Hamel. | JOEL SAGET / AFP

Car l’engagement de Jacques Hamel dépassait sa vie publique. La voix chevrotante, luttant pour retenir ses larmes, Jessica Deleporte, l’une de ses nièces, a salué lors des obsèques la mémoire de son « tonton », dont la porte était toujours ouverte :

« Ta maison, c’était mon deuxième chez moi, l’endroit où je me sentais le mieux car je savais qu’il n’y aurait pas de jugement, que tu m’accueillerais comme j’étais avec mes défauts, mes qualités parfois, même ma mauvaise humeur que tu savais apaiser, tu m’aimais simplement. »

Elle a également livré les moments de complicité que son oncle partageait avec sa fille, Gabrielle. « J’admirais ta patience et ta gentillesse quand tu jouais avec Gabrielle dans la cour, au ballon, à la pétanque, en faisant semblant de manger sa soupe aux cailloux », a-t-elle relaté dans un discours émouvant.

Râleur

D’une même voix, les gens qui l’ont côtoyé décrivent un homme « bon », « modeste », « tolérant », « engagé », « discret mais sociable », empreint de beaucoup d’abnégation. Derrière ce portrait élogieux, le père Hamel avait aussi évidemment ses défauts. « Il pouvait avoir un côté râleur. Quand des choses ne lui plaisaient pas, il n’hésitait jamais à le dire », confie Pierre Belhache. « Le dynamisme intérieur qui perçait dans son regard s’exprimait bien parfois par un peu d’impatience », glisse le vicaire général du diocèse, Philippe Maheut, dans son discours d’hommage le jour des obsèques.

Pour Elisabeth, qui travaillait pour la ville de Saint-Etienne-de-Rouvray, et qui a longtemps côtoyé le père Hamel, « ses défauts couplés à ses qualités faisaient de lui la quintessence de l’homme d’Eglise : un homme bon mais qui ne transige pas ».