Gouvernement et groupes hostiles à l’avortement se livrent une guerre du clic
Gouvernement et groupes hostiles à l’avortement se livrent une guerre du clic
Par Florent Bascoul
L’initiative d’un mouvement contre l’avortement s’inspirant du jeu « Pokémon Go » a conduit Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, à réagir.
Le mouvement des Survivants a lancé un site Internet sur lequel les joueurs peuvent décider de faire naître ou non un œuf de Pokemon. | Capture Twitter
Pikachu, le plus célèbre des Pokémon, ces minimonstres qu’il faut attraper et entraîner pour remporter des combats, est aussi devenu jeudi 4 août le personnage principal… d’un site Internet mobile antiavortement. Sur Sauvezpikachu.com, qui se présente comme un minijeu, l’attachant Pokémon jaune attend un petit, et l’utilisateur peut choisir de refuser sa naissance.
Cette initiative est l’œuvre du groupe les Survivants, un mouvement de plusieurs centaines de jeunes redonnant vie ces derniers mois à un collectif créé à la fin des années 1990. Ils estiment qu’ils avaient « tous une chance sur cinq de ne pas vivre », vu le nombre d’interruptions volontaires de grossesse (IVG) en France. Le groupe exploite les réseaux sociaux et organise des happenings pour que ses messages trouvent le plus grand écho. Avec leur site, les Survivants reprennent les codes des jeux Pokémon et Pokémon Go, très populaires chez les 15-30 ans, et assènent des arguments culpabilisant le visiteur du site.
Tout en prenant soin de ne pas désigner directement ce site, la ministre de la santé Marisol Touraine a réagi vendredi 5 août sur Twitter : elle a dénoncé une « propagande anti-IVG qui a l’air cool », et a renvoyé les internautes vers le site du gouvernement pour obtenir « une info fiable ».
Mon devoir : dénoncer la propagande anti-IVG, surtout quand elle a l’air cool. Pour une info fiable sur vos droits : https://t.co/Dv2omgl7L4
— MarisolTouraine (@Marisol Touraine)
Cette réponse immédiate est symptomatique de la guerre à laquelle se livrent sur la Toile ceux qui sont en faveur de l’avortement et ceux qui y sont hostiles, avec pour champ de bataille le tout-puissant moteur de recherche de Google. Pour donner des résultats hiérarchisés à la recherche d’un internaute, et classer les sites Internet en fonction de leur pertinence, l’agorithme de Google prend en compte un grand nombre de paramètres : l’utilisation d’un mot-clé dans un article, la publication régulière de contenu, la présence d’éléments spécifiques dans le code source d’une page Web…
Pour les recherches Google relatives à la santé publique, un enjeu considérable, le gouvernement doit parfois lutter pour rester en première position des résultats. C’est le cas pour les requêtes liées à l’avortement : ivg.gouv.fr (le site officiel du gouvernement) se retrouve de temps en temps détrôné de la première place dans Google par ivg.net, un site concurrent qui prétend offrir écoute et conseils mais tente de décourager les personnes en demande d’information. La directrice de la publication du site, Marie Philippe, a écrit un livre, L’IVG, 40 ans après la loi Veil. La face cachée de l’avortement dans lequel elle estime que la plupart des femmes ayant recours à l’avortement subissent des pressions de leur entourage, du corps médical ou du corps social.
Rattrapés malgré une importante campagne
A l’automne 2015, après un an de préparation, le ministère de la santé lança la campagne de mobilisation « Mon corps, mon choix, mon droit », comportant un important volet sur Internet.
A grand renfort de relais médiatiques, d’enrichissement éditorial du site et d’achat de référencement payant, le site du ministère de la santé est passé de 74 000 visiteurs mensuels en septembre 2015 à 178 000 en novembre 2015.
IVG, mon corps, mon choix, mon droit : les réponses à vos questions sur https://t.co/i7DJWIxMfo #IVGcestmondroit https://t.co/j68s4tmLY0
— gouvernementFR (@Gouvernement)
Mais, malgré tous les efforts déployés, le site du gouvernement fut à nouveau devancé, au début de 2016, par ivg.net. Ce dernier aurait notamment bénéficié du fait qu’il publie régulièrement de nouveaux contenus, un facteur important dans le référencement dans les moteurs de recherche. Le magazine Causette, imité par Mme Touraine, appela ses lecteurs à multiplier les liens vers le site du gouvernement – l’un des autres facteurs pris en compte par Google pour l’ordre d’affichage des sites dans ses résultats de recherche. Au cours de cet épisode, des professionnels du référencement émirent des critiques vis-à-vis du site ivg.gouv.fr, déplorant l’absence d’un certain nombre de données nécessaires pour être efficacement remontés dans les résultats. Un problème depuis corrigé, assure le ministère. Henri Pitron, l’un des responsables de la stratégie numérique du ministère, explique :
« Nous sommes partis du constat que la structure du site devait être modernisée. Après un audit, nous l’avons remis à niveau en ajoutant des balises indiquant aux moteurs de recherche les informations les plus importantes de la page. Cet effort s’est accompagné d’un accroissement des mots-clés utilisés. Nous avons également multiplié les liens menant vers notre site depuis nos partenaires. Enfin, nous avons poursuivi l’optimisation éditoriale en actualisant régulièrement notre page d’accueil et en diversifiant les contenus. »
Finalement, cette stratégie semble être payante, puisque, selon les chiffres d’un audit commandé par le ministère et communiqués au Monde, le site ivg.net, qui détenait 48 % de visibilité sur le Web au début de l’année, contre 52 % pour ivg.gouv.fr, n’en est plus qu’à 20 % en juillet. Loin de s’admettre vaincu, le site hostile à l’IVG s’est offert une campagne de référencement payant et arrive encore en tête des résultats de Google avec certaines combinaisons de mots-clés (« témoignage avortement », par exemple).
Dans cette guerre pour l’information sur l’avortement, tous les acteurs ont compris qu’il faut renouveler sa façon de communiquer (pages Facebook, applications, happenings). A la rentrée, une commission doit se réunir au ministère pour décider de nouvelles initiatives, qui devraient s’appuyer sur des communautés associatives et la presse féminine.