Violences policières : le département de la justice accable la police de Baltimore
Violences policières : le département de la justice accable la police de Baltimore
Après une enquête de plus d’un an, le département de la justice dénonce le harcèlement quotidien des habitants des quartiers Afro-Américains pauvres et un usage disproportionné de la violence.
Dans les rues de Baltimore, la police s’apprête à faire respecter le couvre-feu mis en place à cause des protestations contre la violence policière, le 29 avril 2015. AP Photo/Patrick Semansky | Patrick Semansky / AP
La police de Baltimore discrimine les Afro-Américains au quotidien, fait un usage excessif de la force et n’est pas tenue pour responsable de ses bavures, selon un rapport particulièrement accablant du département de la justice américain rendu public mercredi 10 août. L’enquête fédérale sur la police de Baltimore a été ouverte en avril 2015, après la mort de Freddie Gray, un jeune Afro-Américain de 25 ans qui a eu la nuque brisée dans un fourgon de police lors de son transport vers le poste. Sa mort a provoqué les plus graves émeutes que la ville ait connues depuis des décennies et contribué à un mouvement plus large de protestation contre les violences policières, Black lives matter (« les vies des Noirs comptent »). Depuis le début de l’année 2016, selon le décompte du Guardian, 651 personnes ont été tuées par la police aux Etats-Unis.
Mais, plutôt que de se concentrer sur les circonstances de la mort de Freddie Gray, le rapport examine un ensemble de pratiques potentiellement contraires à la Constitution américaine. Les enquêteurs ont passé plus d’un an à interroger des résidents de Baltimore, des officiers de police, des procureurs, des avocats commis d’office et des élus locaux. Ils ont également assisté à des patrouilles de police et consulté des documents et dépôts de plainte. Des enquêtes similaires sont en cours à Chicago, San Francisco ou encore Ferguson (Missouri), où un autre cas de meurtre d’un jeune Noir par des policiers avait provoqué une vague de protestations à l’été 2014.
Les accusations du rapport contre les pratiques de la police sont accablantes, dans ses fonctions les plus élémentaires, des contrôles routiers au respect de la liberté d’expression, censément protégée par le premier amendement de la Constitution américaine. Mais ces accusations pourraient également servir de moteur au changement : le département de la justice cherche à faire adopter un décret de consentement qui forcerait la police à s’engager à améliorer ses pratiques, sous peine de poursuites fédérales.
Contrôles injustifiés, fouilles et représailles
Les agents s’arrêtent régulièrement, en particulier dans les quartiers Afro-américains pauvres, sur des motifs douteux, et interpellent sans véritable motif des citoyens accusés d’« outrage à agent ». Quatre-vingt-quatre pour cent des contrôles sont effectués sur des résidents afro-américains, même si ceux-ci ne représentent que 63 % de la population de Baltimore. De même, les Afro-Américains représentent 95 % des 410 personnes contrôlées au moins 10 fois par la police entre 2010 et 2015. Le rapport précise qu’aucun individu d’une autre couleur de peau n’a été contrôlé plus de 12 fois. Un homme interrogé par les enquêteurs a affirmé avoir été contrôlé 30 fois en moins de quatre ans. Aucun de ces contrôles n’a mené à des poursuites judiciaires. Dans 26 contrôles sur 27, aucune poursuite n’est engagée.
La force physique est utilisée hors de toute proportion, y compris contre les personnes souffrant de handicaps mentaux, les jeunes gens, les passants qui ne sont pas dangereux ou ne représentent pas une menace immédiate. L’usage de la force devient en fait une technique de représailles lorsque les agents « n’aiment pas les réponses » des individus qu’ils contrôlent. Des arrestations non justifiées sont également de plus en plus nombreuses. Dans un cas cité par le rapport, un homme s’enfuit à l’approche d’une patrouille de police dans un quartier dit « à risques ». L’officier lui donne plusieurs coups de Taser pour l’immobiliser, puis procède à une fouille. L’individu n’est pas armé, « et il n’y avait aucune raison de penser [qu’il l’était], d’après le rapport du policier ».
Les piétons et automobilistes afro-américains subissent des fouilles prolongées. En plus des palpations, les agents de police de Baltimore obligent les individus à enlever des vêtements en public, ce qui est contraire à la Constitution.
Une mentalité du « eux contre nous » qui vient de la hiérarchie
La police de Baltimore « utilise des tactiques agressives », précise le rapport. « La formation de la police de Baltimore instigue une mentalité du “eux contre nous” dont nous avons vu des agents faire preuve contre des habitants, s’aliénant les civils qu’ils sont censés protéger. »
La plupart des pratiques contraires à la Constitution seraient liées à l’instauration d’une politique de « tolérance zéro », au début des années 2000, qui a généré des arrestations en masse pour des faits mineurs comme simplement de « traîner » dans la rue.
Des abus qui viennent directement de leur chaîne de commandement. Dans un cas cité par le rapport, un supérieur a ordonné à un policier d’« inventer quelque chose » après qu’il se fut plaint d’avoir dû contrôler et questionner un groupe de jeunes Afro-Américains sans raison.
La procureure générale de l’Etat du Maryland, Marilyn Mosby, a réagi à la publication du rapport en expliquant qu’il « confirmait des choses que nombre d’entre nous savent déjà, et dont nous avons une expérience de premier plan ». Dans un communiqué, elle a précisé : « Même si la grande majorité des policiers de Baltimore sont de bons agents, nous savons aussi qu’il y en a de mauvais et que la police a de nombreuses fois échoué à repérer, entraîner et responsabiliser ses agents. »
Six policiers ont été accusés du meurtre de Freddie Gray. Trois d’entre eux ont été acquittés, l’un d’entre eux a bénéficié d’un vice de procédure et, pour les deux derniers, les charges ont été abandonnées.