JO 2016 : Black Lives Matter pour les basketteuses américaines, mais pas à Rio
JO 2016 : Black Lives Matter pour les basketteuses américaines, mais pas à Rio
Par Clément Guillou (à Rio de Janeiro, Brésil)
Les stars américaines, qui affrontent la France en demi-finales, ont pris position contre les violences policières, comme leurs homologues de NBA. Mais s’abstiennent pendant les JO.
La basketteuse américaine Tina Charles, à Rio, le 16 août. | ANDREJ ISAKOVIC / AFP
Ce jeudi soir (minuit en France), en demi-finales du tournoi olympique, debout face à la bannière étoilée, les stars de la sélection américaine de basket féminin porteront le maillot de Team USA sans aucune forme d’artifice. C’est banal, mais c’eût pu être autrement.
Celles qui s’apprêtent à annihiler l’équipe de France ont en effet pris la parole cet été, pendant la saison de WNBA, en faveur du mouvement Black Lives Matter qui dénonce les violences policières visant les Noirs américains. Une revendication qu’elles n’envisagent pas de réitérer aux Jeux olympiques, « par respect pour la fédération américaine de basket ».
Deux ans après les premières manifestations de ce type des basketteurs de la NBA, la mort de deux Afro-Américains début juillet, Philando Castile et Alton Sterling, a suscité la réaction de plusieurs équipes de la ligue américaine. La joueuse majeure des Américaines depuis le début du tournoi, Tina Charles, a pris l’initiative de porter, avec ses joueuses du New York Liberty, un t-shirt noir orné des seuls hashtags #BlackLivesMatter et #Dallas5. Ce dernier fait référence au meurtre de cinq policiers à Dallas par un sniper, lors d’une manifestation de Black Lives Matter. Plusieurs équipes les ont imitées.
« Des vies de Noirs sont en danger tous les jours »
« Ma mère m’a dit : “Ta voix porte, sers-t’en” », a déclaré Tina Charles lors d’une conférence de presse pour expliquer cette initiative. « Surtout, si quelque chose vous bouleverse, il faut le dire. Ce n’est pas la durée de votre vie qui compte, c’est ce que vous en faites. »
« Des vies de Noirs sont en danger tous les jours », dit quant à elle Brittney Griner, déjà championne olympique à Londres. « Les gens ne le savent pas ou ne veulent pas savoir, donc c’est à nous, les athlètes, d’utiliser notre position pour en parler. »
Le mouvement a surpris : il est rarissime dans une WNBA qui n’encourage pas les prises de position politiques ou sociales. De fait, la ligue a immédiatement sanctionné trois équipes sous forme d’amende, pour ne pas avoir porté leurs tenues officielles à l’entraînement. Dans la foulée, Tina Charles, recevant son trophée de joueur du mois, a mis à l’envers le maillot spécial fourni par la ligue en guise de protestation. La WNBA a retiré ces amendes.
Les joueuses américaines disent avoir été inspirées par la star des New York Knicks Carmelo Anthony, qui venait d’appeler les sportifs noirs à utiliser leur notoriété pour soutenir le mouvement. Son message, sur Instagram, était accompagné d’une photo de sportifs noirs venus au soutien de Mohamed Ali dans son combat contre la guerre au Vietnam, en 1967.
Anthony : « Rester en dehors de la question raciale à Rio »
Avant les Jeux, Anthony, l’un des meilleurs joueurs de la Dream Team depuis le début du tournoi, disait son impatience de venir à Rio pour « représenter une population qui va au-delà de 12 joueurs de basket », tous afro-américains.
Pour désamorcer le risque d’une protestation à Rio, USA Basketball a organisé, à l’initiative d’Anthony, une rencontre à Los Angeles entre ses deux équipes, des représentants de la communauté afro-américaine locale, des policiers et des élus locaux.
Le 13 juillet, les stars NBA Carmelo Anthony, Chris Paul, Dwyane Wade et LeBron James donnaient un discours contre la violence policière aux ESPY Awards de Los Angeles. | Chris Pizzello / AP
L’entraîneur de l’équipe féminine Geno Auriemma, tout en se disant « très fier » que ses joueuses aient exprimé une conscience politique, mettait en garde avant les Jeux contre la difficulté de porter un problème de cette ampleur sur la scène olympique. « Bien sûr, chaque joueuse doit pouvoir dire qui elle est et ce qu’elle pense, mais en même temps, vous représentez les Etats-Unis d’Amérique, vous faites partie de l’équipe olympique. C’est une question délicate, et je suis sûr qu’elle se présentera et qu’il faudra la gérer. »
Ce ne sera pas le cas. Mercredi soir, après la victoire en quarts de finale contre l’Argentine (105-78), Carmelo Anthony affirmait qu’il n’envisageait pas de manifestation particulière à Rio en faveur de Black Lives Matter, sinon « gagner la médaille d’or ».
« J’essaye de rester en dehors de la question raciale ici à Rio, mais représenter notre culture ici au Brésil, sachant ce qui se passe chez nous, voir tous les athlètes noirs gagner des médailles d’or et regagner leur honneur, c’est émotionnellement très fort. »
Règle 50
Si le débat sur les violences policières est brûlant aux Etats-Unis, il est resté, comme souvent dans l’histoire, aux portes du parc olympique. La règle 50 de la charte du Comité international olympique interdit toute « sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale dans un lieu, site ou autre emplacement olympique ». Ce qui a justifié, à Rio, l’évacuation des stades des opposants au président par intérim Michel Temer, ou la tentative d’exclusion d’une manifestante en faveur des droits des femmes en Iran, lors d’un match de volley-ball de son pays.
Les poings levés gantés de noir de Tommie Smith et John Carlos en 1968 à Mexico font exception et jurisprudence : le champion olympique et le médaillé de bronze du 200 mètres avaient été exclus de l’équipe américaine et suspendus à vie. Peter Norman, l’Australien qui les accompagnait sur le podium et portait un badge de soutien à leur cause, avait aussi subi les foudres de son comité olympique.
Seule la nageuse Simone Manuel, championne olympique du 100 mètres nage libre (avec la Canadienne Penny Oleksiak) et première Noire américaine médaillée d’or en individuel en natation, a abordé la question. Encore a-t-il fallu qu’un journaliste l’interroge, lors de sa conférence de presse post-victoire :
« Cela veut dire beaucoup, surtout avec ce qui se passe dans le monde aujourd’hui, avec les problèmes de violence policière. »
Les Américains apprécieront cette discrétion de leurs sportifs. Selon un sondage Reuters/Ipsos mené avant les JO, les deux tiers des Américains estiment que les athlètes ne devraient pas exprimer d’opinions politiques pendant les Jeux olympiques.
Rio aurait pourtant été l’endroit idéal pour le faire : les violences policières sont fréquentes dans les favelas. Huit mille personnes ont été tuées par la police dans l’Etat de Rio ces dix dernières années, dont les trois quarts étaient des hommes noirs, selon un rapport de Human Rights Watch.