Saïd Aouita : « Je me souviens de chaque centimètre de ma finale olympique »
Saïd Aouita : « Je me souviens de chaque centimètre de ma finale olympique »
Propos recueillis par Alexis Billebault (contributeur Le Monde Afrique)
L’athlète marocain, médaillé d’or du 5 000 m des Jeux olympiques de Los Angeles en 1984, n’a rien oublié de son exploit qui a marqué le sport africain.
Un soir d’août 1984, le Marocain Saïd Aouita a gagné la médaille d’or du 5 000 m, lors des Jeux olympiques de Los Angeles, en 13 min 05 s 59. Trente-deux ans plus tard, celui qui a donné son nom au train navette rapide qui relie Kenitra, sa ville natale, à Casablanca, reste un héros dans son pays. Aujourd’hui âgé de 56 ans et à quelques heures de la finale de l’épreuve, l’actuel conseiller de la fédération d’athlétisme des Emirats arabes unis revient sur cette course qui a changé sa vie.
Vous étiez un spécialiste du 800 m et du 1 500 m, mais c’est sur 5 000 m que vous avez gagné le titre. Comment l’expliquez-vous ?
Je me préparais effectivement pour le 800 m et le 1 500 m. Et je visais clairement une médaille d’or. Le 5 000 m était pour moi une course que je ne connaissais pas très bien, même si, quelques mois plus tôt à Florence, j’avais couru sur cette distance. Et cela s’était assez bien passé. Mais lors des premiers jours à Los Angeles, j’étais gêné par une élongation. Et pour des courses comme le 800 m et le 1 500 m, qui sont axées sur la vitesse et l’accélération, une élongation est un vrai problème. J’ai alors discuté avec ma femme et mon entraîneur. Et même si j’avais très peu d’expérience sur 5 000 m, j’ai donc décidé de faire les qualifications, et j’ai ainsi pu disputer la finale.
Sans appréhension particulière à cause de votre blessure ?
Non. J’étais bien, décontracté. Je savais que je pourrais gérer cette gêne, sachant que tout se jouerait dans les derniers tours. Je revoyais cette course de Florence. J’étais concentré, à tel point que j’avais étudié mes adversaires en finale. J’avais mis au point ma stratégie. Je savais que mes compétiteurs changeraient souvent de rythme. Moi, j’avais compris qu’il ne fallait pas faire ça. Je suis donc resté longtemps derrière le premier. Je ne voulais pas accélérer trop tôt, à cause de cette élongation.
Trente-deux ans après cette course, vos souvenirs sont-ils intacts ?
Complètement. Une médaille d’or, ça ne s’oublie pas ! Je me souviens de chaque instant, de chaque centimètre de la finale. Et 5 000 m, c’est long ! J’avais des adversaires de grande qualité, mais je savais au fond de moi que j’allais l’emporter. J‘ai accéléré dans le dernier tour. J’avais conservé une certaine fraîcheur, et sur un tour, je savais que mon élongation ne serait pas trop gênante. Et cela s’est vérifié. J’ai pris l’ascendant sur le Suisse Markus Ryffel et le Portugais Antonio Leitao. Une médaille d’or aux JO, c’est le top ! Je mets cela au-dessus de tout, d’un titre de champion du monde, d’un record mondial. Ce qu’on ressent en passant la ligne d’arrivée, en recevant la médaille, c’est indescriptible.
Qui étaient vos principaux rivaux à l’époque ?
Il faut se souvenir qu’à l’époque, les plus forts en course de fond étaient le Kenya, le Portugal, la Grande-Bretagne. Cette médaille d’or reste une immense fierté. Quand je suis rentré au Maroc, le roi Hassan II a accueilli les médaillés olympiques avec les honneurs. Il y avait beaucoup de monde dans les rues.
Au début des années 90, vous avez occupé des fonctions importantes au sein de la Fédération Marocaine d’Athlétisme, mais votre franc-parler vous a causé quelques ennuis…
J’ai été viré, tout simplement ! J’étais directeur technique national (DTN), et j’avais clairement dit qu’il fallait en finir avec le dopage de nos athlètes. Et cela n’a pas été apprécié par les dirigeants. Pour moi, le dopage, c’est non seulement tricher, mais aussi salir l’image du pays. Je voulais changer certaines choses, notamment l’alimentation et les conditions d’hébergement du centre d’Ifrane. Il n’y a pas longtemps, les dirigeants de la fédération marocaine, les mêmes qui m’ont mis dehors et qui ne voulaient pas prendre de mesures contre le dopage, ont décidé d’agir enfin, car ils savaient que le Maroc risquait d’être sanctionné. C’est bien mais pourquoi ne pas avoir fait cela avant ?
Récemment, vous avez déclaré que les dopés étaient des criminels, et qu’ils méritaient d’aller en prison. Assumez-vous ces propos ?
Je sais que cela a choqué. Quand je dis que ce sont des criminels, je ne les mets pas au même niveau que les assassins, bien sûr. Mais à partir du moment où vous trichez pour gagner, vous devez subir une sanction. Même si c’est un ou deux mois de prison. Il ne faut plus laisser passer de tels agissements et limiter au maximum le recours au dopage.
Le Comité International Olympique (CIO) a décidé de ne pas priver la Russie des JO de Rio. Qu’en pensez-vous ?
C’est une décision logique. On sait que des athlètes russes sont dopés, et eux, il faut effectivement les sanctionner. Mais pourquoi priver de jeux Olympiques ceux qui sont propres ? Cela aurait été injuste. Le CIO a eu raison.