Les basketteurs Jimmy Butler, Kevin Durant, Deandre Jordan et Kyle Lowry, dimanche 21 août à Rio. | JIM YOUNG / REUTERS

Pour la délégation américaine, la programmation de la finale du basket masculin comme dernière épreuve des Jeux olympiques de Rio était à quitte ou double. Elle pouvait couronner un succès total. Ou clore les Jeux sur une humiliation pour la plus grande nation de sport : une défaite dans une discipline qu’elle a inventée.

Il n’y a pas eu d’affront de ce genre dimanche 21 août, lors de la finale remportée par « Team USA » avec 30 points d’avance sur la Serbie (96-66). Les Américains, pourtant privés des deux meilleurs joueurs de la planète, Stephen Curry et LeBron James, ont réalisé leur meilleur match du tournoi lorsqu’il le fallait.

Le reste du monde continue de courir derrière la supériorité américaine, en basket comme ailleurs. L’écart entre les Etats-Unis et la Chine, qui était passée devant en 2008 pour ses Jeux à Pékin, s’est accentué. Entre les deux puissances s’est même glissé le Royaume-Uni (27 or). La délégation américaine vit dans un monde à part : elle totalise plus de médailles d’or (46) que la Chine (26) et la Russie (19, certes amputée de l’athlétisme pour dopage organisé) cumulées.

121 médailles à Rio

Les Américains n’avaient fait mieux qu’à Los Angeles en 1984 (83 titres) – que l’URSS avait boycotté – où ils avaient accumulé 173 breloques contre 121 à Rio. Sur NBC, dont l’antenne vibre au rythme des Jeux pendant deux semaines tous les quatre ans, on est allé de médaille d’or en médaille d’or. Un rêve de programmateur de France Télévisions. Avec 46 titres, il y avait forcément un Star-Spangled Banner à écouter quelque part.

Hissé haut sur le dernier podium des JO, la bannière étoilée l’était aussi pour le premier : le titre inattendu de Virginia Thrasher augurait une quinzaine américaine. Une adolescente de Virginie qui s’est découvert un don pour la chasse à 14 ans en tuant un cerf pour sa première battue. Cinq ans plus tard, elle a battu la double championne olympique chinoise Du Li en finale de la carabine à 10 mètres. Du tir au basket en passant par le judo ou le water-polo, les Américains gagnent partout. Les nageurs, 33 médailles, ont réalisé leur meilleur résultat depuis Los Angeles. Les athlètes ont écrasé la concurrence en trouvant dans le fond, le demi-fond et les concours les médailles que les sprinteurs n’ont pas su apporter. Les filles de la gymnastique, portées par la prodige Simone Biles, 19 ans, ont remporté quatre titres sur six possibles. Ces trois sports-rois des Jeux sont des bastions américains, ce qui en fait Le pays des Jeux.

Le site spécialisé dans le journalisme de données FiveThirtyEight a pondéré les sports avec leur audience télévisée mondiale et le nombre de médailles qu’ils distribuent – ainsi, l’or en football, très populaire, était multiplié par treize et la lutte divisée par trois. Avec ce calcul appliqué aux Jeux, les Etats-Unis renforcent leur avance au tableau des médailles tandis que la moisson britannique devient plus maigre.

« Lorsque l’on regarde les Jeux olympiques, nous ne ressemblons pas à un pays incapable, au bout du rouleau. »

La suprématie américaine sur cette 31e édition se lit aussi dans les noms de ses vedettes médiatiques : en fin de JO, Usain Bolt et Neymar se sont mêlés au trio Michael Phelps (et son record de 23 titres olympiques), Katie Ledecky et Simone Biles, roi et reines des dix premiers jours. A eux trois, ils font mieux que les 396 Français engagés à Rio : deux médailles d’or de plus que les dix titres tricolores.

Tous les quatre ans revient la même question : pourquoi les Etats-Unis sont-ils les plus forts ? Les deux réponses évidentes – la population et le revenu par habitant – ne suffisent pas. Et rien n’accrédite jusqu’à présent la thèse d’un dopage d’Etat comme il existe ou existait très récemment en Russie, ou avant cela en Chine et dans le bloc de l’Est.

Politiste à l’Université américaine de Beyrouth, Danyel Reiche distingue, dans son ouvrage Success and Failure of Countries at the Olympic Games (« Succès et échecs des pays aux Jeux olympiques », Routledge, non traduit, 182 pages), quatre clés de la réussite nationale aux JO : la promotion du sport féminin, la gestion centralisée du haut niveau et son soutien financier par le gouvernement, la spécialisation dans les disciplines fortes et l’investissement dans les nouveaux sports olympiques.

Les Etats-Unis remplissent trois des quatre critères : les femmes ont remporté 50 % de titres olympiques de plus que les hommes à Rio ; les Etats-Unis ont commencé à faire le tri entre les disciplines en 2000, pari qui a notamment payé en natation ; et ils brillent dans les sports ayant intégré récemment les JO comme le BMX, le beach-volley ou le taekwondo. En revanche, les athlètes sont issus d’universités privées aux installations sportives dernier cri et non d’un système centralisé comme en France ou en Grande-Bretagne.

« Je suis fier »

Dernier point. Il en va des Américains comme des Britanniques : sur une olympiade, seuls les JO comptent. Les championnats du monde, dominés par des Russes, Chinois voire des Français devant justifier leur revenu, sont des rencontres amicales pour les athlètes d’outre-Atlantique, dont le sport n’existe sur les networks que tous les quatre ans. L’éditorialiste du New York Times David Brooks estime que cette pluie de médailles doit faire réaliser aux Américains qu’ils sont plus solides qu’ils ne l’imaginent. « Le pessimisme a envahi la campagne présidentielle. L’Amérique est sur le déclin. Le pays a pris la mauvaise voie. Nous nous faisons écraser dans le commerce mondial. Nous souffrons toujours de l’humiliation en Irak. (…) Pourtant, lorsque l’on regarde les Jeux olympiques, nous ne ressemblons pas à un pays incapable, au bout du rouleau. »

Brooks n’est pas le seul à faire référence à la violence de la campagne présidentielle opposant Donald Trump à Hillary Clinton et à l’effondrement supposé de la puissance américaine. Le basketteur Carmelo Anthony réclamait, larmes aux yeux après son troisième titre olympique, que l’Amérique « reste unie, en dépit de tout ce qui se passe », et disait croire en son redressement : « Je suis fier que l’on ait représenté notre pays de cette façon. » Le directeur de « USA Swimming », Frank Busch, avait rappelé à ses nageurs avant les Jeux que dans cette ambiance décliniste et « envenimée », « les Américains [avaient] besoin de positif, de quelque chose dont ils puissent être fiers, de quelque chose qui unisse leur pays, de quelque chose qui les rendent heureux. Ce quelque chose, ce sont les Jeux olympiques ». Il ignorait que son nageur Ryan Lochte influencerait, par ses mensonges sur une fausse agression, la trace laissée par les sportifs américains à Rio.