Tony Yoka, le 21 août, à Rio. | PETER CZIBORRA / REUTERS

La montagneTeddy Riner est encore toute à sa joie lorsqu’un énergumène d’1,67 m court dans sa direction et lui assène une formidable (et amicale) droite dans l’épaule. L’imprudent n’est autre que l’ancien boxeur Brahim Asloum : « C’est magique. La plus grande catégorie qui remplace la plus petite. » Ce qui met le champion olympique (des moins de 48 kg) des Jeux de Sydney en 2000 dans un tel état d’excitation ? Le sacre de Tony Yoka dans la catégorie reine des super-lourds, soit des gaillards qui dépassent les 91 kg sur la balance.

Dimanche 21 août, au pavillon 6 du Riocentro, le boxeur de 24 ans a succédé à Brahim Asloum, le dernier pugiliste français en or aux Jeux.Tony Yoka a également rejoint sa compagne, Estelle Mossely, première championne olympique de la boxe tricolore deux jours plus tôt. Malgré une blessure à la cheville droite, survenue en demi-finales, il a dominé le Britannique Joseph Joyce au terme de trois rounds disputés.

« Tu as vu la patate que m’a mise Brahim ? », s’amuse Riner qui était parvenu le 12 août à conserver son titre conquis à Londres.Cette attaque surprise n’empêche pas le porte-drapeau de la délégation française de saluer la médaille d’or de son ami Tony Yoka, dernier des dix titres et quarante-deux breloques (record d’après-guerre) décrochés par la France à Rio. « Je suis très content. C’est la France qui gagne. Il s’agit d’une dernière médaille exceptionnelle. Je lui ai dit : Bienvenue à la maison. »

Dès la décisiondes juges connue, Estelle Mossely saute la barrière et passe le drapeau bleu-blanc-rouge (la bague, c’est prévu au retour du Brésil) à son ami. Dans les bras l’un de l’autre, la scène a un air de déjà-vu. Le 19 août, c’est le grand gaillard de deux mètres, en larmes, qui félicitait sa championne. Le couple peut se congratuler : il a apporté à la délégation française un cinquième de ses médailles d’or. « Vive la France ! Vive la boxe ! Vive les amoureux ! Champions olympiques tous les deux, pfffiou, un couple en or aux mêmes JO, pas sûr que ça soit déjà arrivé », enchaîne dans un souffle Brahim Asloum avec un sens inné de la synthèse.

Presque. Un couple français avait déjà été sacré aux mêmes Jeux dans la même discipline. Mais il fallait avoir une bonne mémoire ou des bonnes fiches pour se rappeler des médailles d’or d’Andrée Joly et Pierre Brunet en danse sur glace aux Jeux d’hiver 1928. A Rio, chez les couples étrangers, les pistards britanniques Jason Kennyet Laura Trott et les hockeyeuses sur gazon Kate et Helen Richardson-Walsh ont réussi cette prouesse.

« Elle est devenue championne olympique, je me suis dit je ne vais pas chier dans la colle. Il fallait que je sois la dernière médaille d’or française.On a fait des Jeux magnifiques. »

Spectatrice énamourée, la championne des - 60 kg raconte le combat tel qu’elle l’a vécu : « J’étais à fond. Je n’ai pas arrêté de crier une seconde, je voulais qu’il m’entende. Couple en or, ça sonne bien. Je suis tellement heureuse. Il est allé au bout malgré sa blessure. C’est un aboutissement pour nous. »

Soulagé, alors qu’il avait annoncé au soir du titre d’Estelle Mossely qu’il devait maintenant la rejoindre, Tony Yoka savourait aussi son succès, lui, le champion du monde en titre que tout le monde attendait au coin du ring : « Elle est devenue championne olympique, je me suis dit je ne vais pas chier dans la colle. Il fallait que je sois la dernière médaille d’or française.On a fait des Jeux magnifiques. »

Vainqueur des deux premiers rounds, le boxeur de Chanteloup-les-Vignes, dans les Yvelines, a serré les dents pour tenir jusqu’au bout avec des appuis diminués par sa cheville douloureuse. Très ému, son entraîneur, Luis Mariano Gonzalez, explique comment il a dû intervenir en cours de combat : « J’ai refait le strap. Il a fallu le serrer et le serrer encore. Je n’ai jamais fait un strap aussi serré de ma vie. Il était moins mobile que d’habitude, ça l’a restreint. »

Le Franco-Cubain, qui a intégré l’encadrement de l’équipe de France en 2007 et qui s’occupe de Yoka depuis qu’il a 15 ans, n’a jamais douté de la victoire de son protégé. « Il m’a dit : “Mariano, je vais gagner ce combat.” Il voulait aller chercher l’or. » Précis dans ses coups, intelligent tactiquement et dominateur sur le ring, Tony Yoka s’est même permis quelques petits pas de danse et une langue tirée à la fin du troisième et dernier round. Une sorte d’hommage pour le plus légendaire des champions olympiques des lourds. « C’est comme Mohamed Ali. Il a voulu montrer qui était le patron », vend la mèche, Luis Mariano Gonzalez.

« Pourquoi pas moi ? »

Malheureux à Londres où il avait été éliminé dès son entrée dans le tournoi pour ses premiers Jeux, le boxeur était programmé pour l’or à Rio. C’est son père, Victor Yoka, ancien boxeur congolais et grand admirateur d’Ali, qui lui a transmis le virus : « Je suis né dans la boxe. Depuis tout petit, mon père me rabâche : “Tu seras champion olympique.” En 2012, il m’avait dit : “Tu n’es pas encore assez mature.” En 2016, elle sera pour toi. »

Fan inconditionnel d’un autre boxeur, Apollo Creed, grand rival de Sylvester Stallone dans le premier volet de Rocky et qui deviendraensuite son meilleur ami dans les autres opus, Tony Yoka veut désormais concurrencer les plus grands poids lourds chez les professionnels.

Son prédécesseur des Jeux de Londres, le Britannique Anthony Joshua, était présent dimanche dans la salle. Le champion olympique 2012 des super-lourds est depuis le 9 avril champion du monde IBF des lourds. Un titre que le boxeur de 26 ans a conservé en juin. « Joshua, je l’ai en ligne de mire. S’il a réussi chez les pros, pourquoi pas moi ? », veut croire Yoka, l’ambitieux. Je veux marquer l’histoire de mon sport, j’ai regardé les cassettes des grands noms. Mon avenir, je l’imagine chez les professionnels. J’ai fait le tour de la boxe olympique. » Les « grands noms » ? L’Ukrainien Wladimir Klitschko, champion olympique en 1996 à Atlanta, dont le règne sur la catégorie reine n’a pris fin qu’en novembre 2015. Et Ali, bien sûr, qui avait commencé à écrire sa légende à Rome en 1960. L’histoire de Tony Yoka, elle, a débuté dimanche 21 août à Rio.