Rentrée littéraire à Paris : une saison africaine
Rentrée littéraire à Paris : une saison africaine
Par Gladys Marivat
De nombreux premiers romans marquent la rentrée littéraire 2016. Et les auteurs issus du continent africain et des Caraïbes captent déjà toute la lumière.
Le cru 2016 est marqué par l’émergence de nouvelles voix. Dans cette rentrée littéraire qui s’annonce plus ouverte, avec moins de grands noms et moins de titres (seulement 559 nouveaux romans attendus entre mi-août et fin septembre), nous avons sélectionné quelques auteurs très attendus.
La révélation Ali Zamir
L’auteur et chanteur français Gael Faye, en mars 2014 à Paris. | JOEL SAGET/AFP
Repéré depuis plusieurs mois par de nombreux critiques et libraires, le Comorien Ali Zamir, 27 ans, signe avec Anguille sous roche (Le Tripode), l’un des premiers romans les plus remarqués de la rentrée. Avouons-le : les écrivains des Comores sont extrêmement rares et Zamir est sans doute le premier à susciter un tel enthousiasme. Dans ce roman qui n’est qu’une seule et unique phrase, une jeune femme, sur le point de se noyer dans l’océan Indien, retrace les amours et les désillusions qui ont forgé sa vie et nous emporte dans sa prose vertigineuse, sensuelle et révoltée. Preuve de l’attente qui entoure ce premier roman, l’ampleur de la mobilisation des médias quand, le 17 août, on apprenait que le visa pour la France d’Ali Zamir avait été refusé. L’AFP, France Info et France Culture, entre autres, ont rapidement diffusé l’information et, le soir même, le visa était délivré à l’auteur. Originaire de l’île d’Anjouan, l’écrivain doit arriver en France le 5 septembre pour deux mois. Son carnet d’interviews et de rencontres en librairie est bien rempli et il figure déjà dans la sélection de plusieurs prix littéraires, dont le prix du roman Fnac.
Autre premier roman très attendu, Petit pays (Grasset) de Gaël Faye. Le rappeur du groupe Milk Coffee and Sugar, connu pour ses collaborations avec Mulatu Astatke et Mamani Keïta, signe un premier roman largement inspiré de son enfance. Né en 1982 au Burundi d’une mère rwandaise et d’un père français, Gaël Faye est arrivé en France en 1995, au lendemain du déclenchement de la guerre civile.
Le phénomène Imbolo Mbue
L’auteure camerounaise Imbolo Mbue à Paris, en juillet 2016. | AFP
En littérature étrangère, Voici venir les rêveurs (Belfond) d’Imbolo Mbue, également dans la sélection du prix du roman Fnac, cristallise aussi l’attention. L’annonce du premier roman de cette Camerounaise de Manhattan, âgée de 33 ans, a créé l’événement à la Foire du livre de Francfort en 2014, où s’était jouée une bataille entre les plus grands groupes éditoriaux. Au final, un million de dollars d’avance versé par l’éditeur américain Random House. Roman sur les tribulations d’une famille camerounaise qui cherche à vivre son rêve à New York, Voici venir les rêveurs paraît simultanément en France et aux Etats-Unis.
La surprise pourrait toutefois venir du Soudan avec Abdelaziz Baraka Sakin. Un écrivain de langue arabe, publié en Egypte et en Syrie, mais interdit dans son propre pays, qui vit aujourd’hui en Autriche, où il a obtenu l’asile politique. Le Messie du Darfour (Zulma), son premier roman traduit en français, raconte l’épopée d’Abderahman, une femme au nom d’homme, bientôt embarquée dans une histoire d’amitié et de vengeance sur fond de guerre du Darfour.
Retour de Leonora Miano et Nathacha Appanah
Outre les révélations, cette rentrée est également marquée par les romans d’auteurs confirmés. Ainsi de Chanson douce de la jeune écrivaine franco-marocaine Leïla Slimani, dont le premier roman, Dans le jardin de l’ogre (Gallimard, 2014) avait déjà rencontré un grand succès critique et public. Après le très beau En attendant demain (Gallimard, 2015), la Mauricienne Nathacha Appanah revient avec Tropique de la violence (Gallimard). A Mayotte, ce roman suit la dérive meurtrière d’un adolescent mahorais adopté par une infirmière originaire de l’Hexagone. Aussi, Leonora Miano signe avec Crépuscule du tourment (Grasset), un roman choral qui donne la parole à quatre femmes qui s’adressent successivement à un même homme. Situé dans un pays jamais nommé, le livre renoue avec le souffle des débuts de l’écrivaine camerounaise, révélée en 2005 avec L’Intérieur de la nuit (Plon).
C’est quoi un écrivain français ?
Le mois de septembre verra paraître un très grand livre, La Matière de l’absence (Seuil) du Martiniquais Patrick Chamoiseau, à la fois roman intime et somme intellectuelle retraçant le parcours de son auteur. Côté essai, Alain Mabanckou publie Le monde est mon langage (Grasset), recueil de rencontres du jeune professeur au Collège de France avec des auteurs qu’il admire (Dany Laferrière, Henri Lopès, Edouard Glissant, Sony Labou Tansi…) qui forme une manière de cartographie littéraire. Enfin, un essai qui devrait nous donner du grain à moudre, Je n’ai qu’une langue, ce n’est pas la mienne (Fayard) de Kaoutar Harchi. La romancière et sociologue retrace le parcours de cinq écrivains algériens de langue française (Kateb Yacine, Assia Djebar, Rachid Boudjedra, Kamel Daoud et Boualem Sansal) pour proposer une réflexion inédite et percutante sur la reconnaissance littéraire jamais pleine et entière dont ils ont fait l’objet. Avec, en creux, une question brûlante : c’est quoi un écrivain français ?