Jeux vidéo : « “Deus Ex : Mankind Divided” décrit un monde où le transhumanisme vire au cauchemar »
Jeux vidéo : « “Deus Ex : Mankind Divided” décrit un monde où le transhumanisme vire au cauchemar »
Propos recueillis par Damien Leloup
A travers ce nouvel épisode de la série cyberpunk, Jean-François Dugas et son équipe abordent la manière dont la technologie transforme l’humain.
« Deus Ex : Mankind Divided » développé par Eidos Montréal et édité par Square Enix. | Square Enix
Jean-François Dugas est directeur exécutif de Deus Ex : Mankind Divided, qui sort ce 23 août sur consoles et PC. Pixels l’a rencontré en juin lors du salon E3 du jeu vidéo de Los Angeles. Il raconte comme ce nouveau volet de la série de jeux d’aventure cyberpunk s’intéresse à la question du transhumanisme, l’amélioration de l’homme par la technologie.
De quoi parle Mankind Divided ?
Deus Ex: Mankind Divided - Dubai gameplay - PC Gaming Show 2016
Durée : 04:34
On y parlera toujours de transhumanisme ! Dans Human Revolution, on explorait le potentiel de ce que les augmentations et les implants peuvent nous amener, et comment l’humain peut se transcender. On a toujours voulu attaquer l’autre face de la pièce : ces technologies, c’est beau, mais si quelqu’un abuse du pouvoir qu’elles confèrent, comment la société va-t-elle réagir ? Dans Mankind Divided, nous avons un monde où cela vire au cauchemar. Les « augmentés » sont perçus comme une bombe à retardement, on commence par vouloir les mettre dans un coin, et cela entraîne des mesures extrêmes.
Certaines technologies de l’univers de Deus ex, comme les implants, semblaient fantaisistes aux débuts de la série, en 2000. Est-ce que la réalité ne va pas rattraper le monde de Deus Ex ?
Il y a beaucoup de similitudes avec l’actualité, mais il y a quatre ans, quand nous avons commencé à travailler sur Mankind Divided, c’était moins à la surface, et, oui, on voit la réalité qui nous rattrape. Mais c’est normal, la science-fiction est une manière de parler du monde réel.
Dans nos sources d’inspiration il y a bien sûr les classiques du cyberpunk, en cinéma comme en littérature : Snowcrash, Matrix… Mais nous nous sommes aussi beaucoup inspirés des technologies qui existent dans le monde actuel. L’évolution dans les dix dernières années est incroyable. Avant, on ne jurait que par le téléphone ; aujourd’hui, on ne parle plus que par texto, on fait tout sauf téléphoner avec nos smartphones… Beaucoup de choses ont été inventées puis ont évolué.
Pour nous, la technologie est une couche de fond, ce n’est pas le sujet. Le transhumanisme, le cyberpunk, ce sont des excuses pour explorer l’humain, explorer qui nous sommes. Pourquoi nous réagissons de telle ou telle manière, ce qui fait qu’on est humain… Et la réponse, c’est que ce sont les émotions, les réflexions, la manière dont nos vies sont transformées. C’est ce qui m’a le plus intéressé en travaillant sur Deus Ex : se dire que la technologie n’est pas une fin en soi.
Comment montrer cela dans un jeu ?
Je vais prendre un exemple : je porte une montre. Lors du lancement de l’Apple Watch, Apple s’est rendu compte que l’une de ses problématiques était la difficulté d’aller chercher les moins de 35 ans, qui ont grandi avec un téléphone portable. Ils se disent « Pourquoi aurais-je besoin d’une montre, alors que j’ai tout ce qu’il me faut dan la poche ? » Ca a donné I’impression que les montres classiques seront des objets de collection. J’en porte une. Je ne l’utilise pas, mais je suis incapable de ne pas avoir une montre au poignet.
Dans Deus ex : Mankind, on voit un fabriquant de montres artisanales en 2019, c’est devenu un produit de luxe.
Dans beaucoup de jeux futuristes, les mini-jeux permettant de pirater des machines sont un peu lassants… Comment avez-vous travaillé sur cet aspect ?
L’idée de départ était de vraiment donner l’impression au joueur d’incarner un hackeur. Nous voulions faire en sorte que le joueur ait vraiment le sentiment de pénétrer dans la machine, qu’il doive attribuer des ressources au processeur et à la carte graphique, se méfier en permanence du traceur… On y allait avec une approche très très hardcore, c’était excitant mais ça n’était pas une expérience pour tout le monde !
On a alors cherché une approche qui conserverait l’idée mais qui serait plus simple. Un de nos artistes a conçu un module sur la même idée, mais beaucoup plus lisible : on rentre par le port principal, et des nœuds conduisent aux différents endroits de l’ordinateur pour avoir accès aux données. Les machines ont toutes des systèmes de sécurité, qui ont plus ou moins de probabilité de détecter l’intrusion. avec une probabilité de détection à chaque fois. Si on déclenche l’alarme, il faut arriver aux données avant que la sécurité ne vous retrouve…
A cela on a ajouté des pièges, des logiciels qui permettent de se repérer plus facilement… C’est beaucoup plus visuel que notre premier concept.
Quand le premier Deus Ex est sorti, les jeux se déroulant dans un univers cyberpunk étaient rarissimes. Ces dernières années, on en a vu beaucoup plus, et de grandes licences comme Call of Duty lorgnent aussi vers le transhumanisme ou la notion d’humain augmenté…
C’est une progression naturelle. Quand on a commencé, c’était un sujet encore très underground – des jeux sur ces thématiques existaient, mais nous avons découvert plein de possibilités nouvelles offertes par le transhumanisme et ce type d’univers. En 2016, on voit des scientifiques capables de faire des prothèses incroyables, de contrôler des pièces robotisées par la pensée…
C’est normal que nous ayions des concurrents : la réalité est en train de devenir transhumaniste ! Beaucoup plus de gens vont vouloir s’intéresser à ce sujet et offrir leur propre vision d’un monde futur. C’est sûr qu’on devient moins originaux, mais nous restons associés à des précurseurs !
Il y a aussi un côté sentimental très important pour beaucoup de joueurs et pour nous aussi. On peut inspirer des concurrents et s’inspirer d’eux aussi, la compétition est une chose saine.