La littérature dessinée d’Hugo Pratt
La littérature dessinée d’Hugo Pratt
Par Bruno Lesprit
Thierry Thomas entreprend un voyage à travers le monde sur les traces du père de Corto Maltese (mercredi 24 août à 22 h 20 sur Arte).
Photo prise le 8 avril 2009 lors de l’exposition « Voyages secrets », consacrée au dessinateur italien Hugo Pratt et à son héros Corto Maltese, au musée Thomas-Henry de Cherbourg (Manche). | MYCHELE DANIAU / AFP
Thierry Thomas entreprend un voyage à travers le monde sur les traces du père de Corto Maltese.
A tout seigneur tout honneur. En 1986, le Grand Palais fut le siège d’une révolution en accueillant une rétrospective consacrée à Hugo Pratt. Jamais la bande dessinée n’avait été présentée dans un lieu aussi prestigieux, comme le rappelle Hugo Pratt, trait pour trait, documentaire de Thierry Thomas qui suit les traces du père de Corto Maltese, en offrant, avec des témoignages de proches, une bonne introduction à son univers réel ou rêvé.
Grâce à ce Vénitien épicurien et les collègues – Tardi, Forest, Auclair, Comès – du magazine (A suivre), lancé par Casterman en 1978, le 9e art entra dans la maturité et acquit ses lettres de noblesse. Les lecteurs français avaient pourtant découvert Corto Maltese huit ans plus tôt dans les pages de Pif Gadget ! De quoi décontenancer les habitués de Placid et Muzo. Par son retrait de l’action, son refus de l’héroïsme et du boy-scoutisme, le gentilhomme de fortune reste l’anti-Tintin par excellence.
Plus de vingt ans après la mort de Pratt, en 1995, ni son héros ni son œuvre n’ont pris une ride. Ramassées sur une vingtaine d’années, au début du XXe siècle, mais intemporelles, les aventures de Corto Maltese continuent de défier le temps, comme le personnage, que Pratt avait fait rajeunir dans Mû (1992), l’ultime épisode. « Absolument modernes », selon le précepte de Rimbaud, totem de Pratt, elles le demeurent par ce dessin qui semble toujours refuser de choisir entre figuration et abstraction, par l’audace des cadrages et des ellipses, la dimension poétique. Pratt revendiquait une « littérature dessinée ».
Reste l’évocation de l’existence de ce mythomane assumé. « J’ai treize façons de raconter ma vie et je ne sais pas s’il y en a une de vraie, ou même si l’une est plus vraie que l’autre », avouait Pratt dans des souvenirs (Le Désir d’être inutile, Robert Laffont, 1991). Sa jeunesse dans un milieu familial fasciste, sa soif d’évasion dans les romans de Curwood et de London jusqu’à la révélation de sa vocation grâce aux comic strips de son modèle, Milton Caniff, sont bien restitués. On s’étonnera toutefois que, pour éclairer sa passion de l’occultisme, soit passée sous silence son appartenance à la franc-maçonnerie, sujet d’une exposition en 2012 au Grand Orient de France.
Hugo Pratt, trait pour trait, de Thierry Thomas (Fr., 2016, 55 min). Sur Arte+ du 24 août au 1er septembre.