Les ministres de l’intérieur allemand et français, Thomas de Maizière et Bernard Cazeneuve, le 23 août à Paris. | STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Les enquêtes antiterroristes achoppent trop souvent sur des messages chiffrés, transitant sur des applications comme Telegram ou WhatsApp, et illisibles pour les enquêteurs. Cette idée, dans l’air depuis plusieurs semaines, a été reprise, mardi 23 août, par Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, lors d’une conférence commune avec son homologue allemand, Thomas de Maizières.

« Les échanges de plus en plus systématiques opérés via certaines applications, telles que Telegram, doivent pouvoir, dans le cadre des procédures judiciaires, être identifiés et utilisés comme des éléments de preuve par les services d’investigations et les magistrats », a expliqué M. Cazeneuve, qui veut « armer véritablement nos démocraties sur la question du chiffrement ».

Le ministre français s’est félicité de la collaboration avec certains réseaux sociaux américains, comme Twitter, mais a clairement ciblé la messagerie Telegram, très prisée des djihadistes et auprès de laquelle « les Etats ne disposent d’aucun interlocuteur ». Contacté par Le Monde, Telegram n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Conscient qu’une réponse nationale est vaine dans un paysage dominé par des entreprises étrangères (WhatsApp ou Twitter sont américains, Telegram est d’origine russe), le ministre a précisé « l’initiative européenne » qu’il appelait de ses vœux il y a quelques jours. Il suggère que « la Commission européenne étudie la possibilité d’un acte législatif pour rapprocher les droits et les obligations de tous les opérateurs ». L’idée étant donc de faire en sorte que les messageries installées sur les téléphones soient soumises aux mêmes obligations de coopération que des services de télécommunication, comme les opérateurs téléphoniques. Les contours que pourrait prendre cette mesure, et les obligations qu’elle emporterait en matière de chiffrement, restent flous. Cette question devrait être à l’agenda du prochain sommet des chefs d’Etat de l’Union européenne, le 26 septembre.

L’agence Reuters s’est justement procuré, il y a quelques jours, un document de la Commission européenne dans lequel cette dernière réfléchissait à rénover le cadre légal s’appliquant aux télécoms pour pouvoir y soumettre des acteurs comme Telegram. Avec, in fine, la possibilité de s’assurer une meilleure coopération de ces derniers et pouvoir « déchiffrer des messages dans le cadre d’enquêtes judiciaires ».

M. Cazeneuve a insisté sur la nature « judiciaire » d’un éventuel accès aux messages protégés. Traduction : ce nouvel outil serait mis dans les mains des juges et des enquêteurs qu’ils mandateraient, et pas dans celles des services de renseignement, travaillant en amont.

Un chiffrement très robuste

Il sera cependant délicat de s’assurer d’un accès total et systématique aux discussions protégées par la cryptographie. Telegram et WhatsApp ont en effet mis en place une technologie de chiffrement dit « de bout en bout » : même eux ne peuvent accéder aux données qu’échangent leurs utilisateurs.

« Que les choses soient bien claires pour éviter toute polémique inutile. Il n’a bien sûr jamais été question de remettre en cause le principe du chiffrement des échanges » a, d’emblée, précisé le ministre. La veille, le Conseil national du numérique, organe consultatif placé auprès du premier ministre, publiait avec la présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés une tribune dans Le Monde, mettant en garde le gouvernement contre ses velléités contre le chiffrement des messages.

L’agence nationale de sécurité des systèmes d’information, chargée de la sécurité informatique de l’Etat, avertissait, elle aussi, au printemps, dans une note dont le contenu a été révélé récemment par Libération début août, contre les risques que pourrait poser un encadrement général des technologies de chiffrement.

Les spécialistes en sécurité sont en effet unanimes : il est impossible d’affaiblir les techniques de chiffrement des messages des terroristes sans ébranler la protection qu’offre le chiffrement de ces messageries, quotidiennement, à leurs centaines de millions d’utilisateurs. Plus généralement, les technologies de chiffrement contribuent à la sécurité de nombreuses activités : des paiements en ligne aux communications sensibles de l’Etat en passant par la très précieuse propriété intellectuelle de nombreuses entreprises françaises.