Dépakine : « La neurologue m’a dit qu’il n’y avait pas plus de risques qu’avec un Doliprane »
Dépakine : « La neurologue m’a dit qu’il n’y avait pas plus de risques qu’avec un Doliprane »
Par Nicolas Scheffer
Le ministère de la santé devrait dévoiler, mercredi, l’ampleur des handicaps provoqués par cet antiépileptique pris par des femmes enceintes.
Cela fait des années qu’elles dénoncent un scandale sanitaire. Les familles de victimes de la Dépakine devraient enfin savoir, mercredi 24 août, combien d’enfants ont subi des handicaps après la prise de ce médicament prescrit contre l’épilepsie ou les troubles bipolaires pendant la grossesse. Le ministère de la santé devait donc recevoir l’association des victimes et rendre public le premier volet d’une étude de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) sur le nombre de victimes de la Dépakine.
Selon nos informations, pas moins de 14 000 femmes enceintes auraient ainsi consommé du valproate de sodium, le principe actif du médicament produit par Sanofi, entre 2007 et 2014. Un chiffre alarmant : jusqu’à 10 % des bébés présentent des malformations et jusqu’à 30 % à 40 % des enfants ont des troubles du développement. Jusqu’alors, l’ANSM estimait que 368 cas de malformations et 126 cas de retard mental pouvaient être attribués à la Dépakine depuis 1960. Les victimes pourraient en réalité être des milliers.
Des soupçons pèsent sur la Dépakine depuis trente ans. Son autorisation de mise sur le marché indique depuis 2006 qu’elle est incompatible avec une grossesse. Mais des médecins auraient tardé à suivre cette recommandation. Ce n’est qu’en 2015 que son utilisation a été drastiquement restreinte. Et les familles, qui accusent Sanofi de ne pas avoir suffisamment alerté sur les dangers du médicament, réclament la mise en place d’un fonds d’indemnisation, sur lequel le ministère de la santé devait apporter des éléments mercredi 24 août.
Marie (tous les prénoms ont été modifiés), qui élève seule ses deux enfants, fait partie de ces mères qui ont pris de la Dépakine pendant leur grossesse. Elle mène aujourd’hui une bataille sur deux fronts, contre la maladie de ses fils et contre le laboratoire pharmaceutique ainsi que le centre hospitalier qui a suivi sa grossesse.
Le cadet, Yann, s’automutile. A 10 ans, il se tape la tête avec ses mains pour faire comprendre à sa mère qu’il a mal. Il se strangule pour signifier un début d’angine. Atteint d’une forme d’autisme, c’est le seul moyen qu’il a trouvé pour se faire comprendre. Yann souffre de handicaps liés à la prise de Dépakine par sa mère pendant sa grossesse : dysmorphie faciale, atrophie du poumon, reflux gastro-œsophagien, troubles ophtalmologiques et articulaires, retard mental, autisme… Le lien entre la prise de Dépakine et ses multiples handicaps a été expertisé.
Graves problèmes respiratoires
« Quand j’expliquais à la neurologue qui suivait mon épilepsie mon désir d’avoir un enfant alors que j’étais traitée sous Dépakine, elle m’a répondu qu’il n’y avait pas plus de risque de malformation fœtale qu’avec un Doliprane », raconte Marie. A l’époque, les premiers cas de malformations des enfants sont déjà recensés dans des revues médicales anglo-saxonnes. La première grossesse de Marie se passe bien, à tel point qu’elle en envisage rapidement une seconde. Elle sent que la grossesse du cadet pose problème alors que Ronan, l’aîné, manifeste des problèmes de scoliose et d’asthme.
Au quotidien, les enfants de Marie nécessitent beaucoup d’attention, surtout Yann, qui est le plus handicapé. Il a subi une dizaine d’opérations. A 4 ans, Yann souffrait de graves problèmes respiratoires et de reflux gastriques qui le réveillaient sept à huit fois par nuit. « J’allais deux fois par semaine aux urgences en pleine nuit. A force, c’est moi qui disais aux infirmières les soins qu’il fallait apporter à mon fils », raconte Marie, qui travaille dans le milieu médical. « A cette époque, je dormais deux heures par nuit », confie-t-elle. Elle a dû réduire son temps de travail pour s’occuper de ses enfants.
En raison des problèmes gastriques du cadet, Marie n’achète pas de plats préparés. Elle nettoie de fond en comble sa maison à cause de l’asthme de son fils aîné. « Tout en aidant l’aîné à faire ses devoirs, je dois surveiller le cadet en permanence. Yann est capable de monter sur les plaques à induction pour attraper du chocolat dans un placard », décrit-elle. Elle a mis en place des protocoles qui sont pour son fils des repères. Chaque geste du quotidien s’accompagne de photographies. « Je lui montre une photo de la salle de bains puis une autre de sa serviette. Il comprend qu’on va prendre la douche », explique la mère. Puis, vient la méthode du « 1, 2, 3… » pour donner des repères dans le temps et séquencer les gestes. « 1, 2, 3, je me lève… 1, 2, 3, je mets mes chaussons… », répète-t-elle inlassablement.
Epuisée physiquement et psychologiquement, Marie raconte avoir demandé de l’aide auprès d’assistantes sociales qui l’ont menacée de placer les enfants en famille d’accueil. Elle trouve tout de même deux places en institut médico-éducatif (IME) pour ses enfants qui sont mélangés avec des jeunes souffrant d’autres pathologies. « Quand une personne est autiste, elle a besoin que ce soit son environnement qui s’adapte à elle et pas l’inverse. A l’IME, Yann était maltraité, sans que ce soit volontaire. Les éducateurs ne comprenaient pas quand il cherchait à s’exprimer », explique la mère.
Elle raconte des instituts bondés, des éducateurs surchargés, alors que les enfants font des progrès considérables lorsqu’ils sont bien accompagnés. Ronan a décroché 18 de moyenne en CM2, grâce à l’acharnement de sa mère qui lui prépare des fiches pour ses cours et l’aide d’une assistante de vie scolaire qui l’accompagne à l’école.
Marie n’a pas les moyens d’embaucher à plein-temps un éducateur à domicile, dont ses deux enfants ont besoin. Elle se bat pour qu’un fonds d’indemnisation soit alimenté par le laboratoire Sanofi qui produit la Dépakine. Pour son avocat, Me Joseph-Oudin, le laboratoire est responsable du manque d’information concernant les conséquences de la Dépakine sur le développement des enfants, alors que les premiers signalements datent des années 1980. Selon l’avocat, on a retiré le choix du risque aux mères. « Il faut que la ministre prenne une position ferme à l’égard de Sanofi et que le laboratoire abonde un fonds d’indemnisation. Ces familles ne cherchent pas à s’offrir une villa, ce qu’elles veulent, c’est soigner leurs enfants », plaide l’avocat, qui promet que la facture sera lourde.