En Afrique, la multiplication des barrages fait le lit du paludisme
En Afrique, la multiplication des barrages fait le lit du paludisme
Par Jonathan Lautze, Matthew McCartney et Solomon Kibret
A cause de l’eau retenue dans les réservoirs, ces édifices, qui permettent de soutenir la croissance économique, favorisent la prolifération des moustiques.
Plus de 2 000 grands barrages ont été bâtis et plus de 200 sont actuellement en construction ou en projet en Afrique sub-saharienne. L’objectif principal de ces grands travaux vise à améliorer la sécurité alimentaire, à augmenter la production hydroélectrique, à gérer la variabilité des précipitations et à soutenir la croissance économique.
En 2012, les chefs de gouvernement et les Etats du continent ont mis sur pied un ambitieux plan sur le long terme pour rattraper le retard africain en matière d’infrastructures. L’Ethiopie s’est ainsi dotée de plusieurs barrages au cours des dernières années pour satisfaire des besoins énergétiques grandissants. La République démocratique du Congo a quant à elle lancé la construction de plusieurs édifices le long de la rivière Congo, aux chutes d’Inga. Au Malawi, le barrage de Kamuzu a été agrandi.
Le renouvellement récent d’aides internationales au développement dans le domaine des ressources en eau a encouragé des études de faisabilité, actuellement en cours, pour bien d’autres barrages à travers le continent. Mais la construction de ces barrages a un effet inattendu : une augmentation des cas de paludisme dans les zones environnantes.
Le risque de paludisme autour des barrages
L’Afrique abrite 90 % des cas de paludisme dans le monde, avec 174 millions de personnes touchées par cette maladie. Une estimation prudente évalue à plus d’un million par an le nombre de cas induits par la présence de barrages en Afrique. Des exemples précis de cette recrudescence à proximité de ces installations ont été rapportés au Cameroun, en Ethiopie, au Ghana, au Kenya, au Sénégal et au Zimbabwe. On peut aussi évoquer la situation du réservoir de Koka, dans le centre de l’Ethiopie.
L’eau retenue dans les réservoirs conduit à l’augmentation du nombre de sites – et les flaques en premier lieu – où les larves du moustique Anopheles porteur du paludisme prospèrent. Ceci conduit à une augmentation considérable du nombre de moustiques adultes. Ces derniers piquent en général en soirée et au cours de la nuit, multipliant le taux de transmission de la maladie parmi les populations vivant à quelques kilomètres des réservoirs.
Les flaques qui offrent des sites de reproduction aux moustiques sont situées dans des zones d’infiltration en aval des barrages, autour des rives des réservoirs et dans les zones construites par les hommes, tels les canaux d’irrigation.
Nos travaux indiquent que les berges constituent les sites de reproduction les plus importants pour les moustiques porteurs de la maladie. Les réservoirs créent ces flaques lorsque le niveau de l’eau baisse, ces dernières devenant alors l’endroit idéal pour se reproduire.
Que faire ?
De multiples approches pour lutter contre la maladie existent. Celles-ci comprennent des mesures conventionnelles et non conventionnelles. Si ces dernières ont été employées ponctuellement, ou pouvaient l’être, elles ne le sont pas encore de manière systématique.
L’incidence globale du paludisme sur le continent a décru ces dernières années. En Afrique sub-saharienne, des efforts importants entrepris pour lutter contre la maladie depuis le début du XXIe siècle ont permis la réduction de 45 % de la mortalité liée au paludisme. On a ainsi compté 1,6 million de morts en moins entre 2001 et 2015. Ces chiffres montrent à quel point les mesures conventionnelles, quand elles sont conduites correctement, offrent une base solide pour lutter contre la propagation de la maladie.
Cependant, la prévalence du paludisme à proximité des barrages où ces mêmes efforts ont été conduits suggère que les stratégies conventionnelles ne sont peut-être pas suffisantes. C’est pour cette raison qu’il devient essentiel de considérer des options inédites et de les associer aux approches qui ont déjà fait leurs preuves.
- Localisation
La décision de placer un barrage à tel ou tel endroit d’un bassin hydrographique peut avoir une incidence sur le paludisme, l’effet de la construction d’un barrage variant en fonction de la présence de la maladie dans la région concernée. L’eau qui se trouve retenue dans des zones de transmission moins forte, plus irrégulière ou saisonnière de la maladie aura ainsi un effet négatif plus marqué que dans le cas d’une eau conservée dans des zones où la transmission est plus soutenue et plus régulière tout au long de l’année.
Cette dimension peut être aisément prise en compte dans le choix du site d’installation.
- Conception et taille
La conception des barrages et la taille des réservoirs auront un effet sur la propagation du paludisme dans les communautés avoisinantes, influençant, par exemple, le degré de suintement en aval. La hauteur des futures constructions peut par ailleurs avoir une incidence sur la réduction des flaques propices au développement des larves dans les berges des réservoirs.
Quant à la taille des réservoirs, elle commandera celle des berges permettant aux moustiques de nicher, les barrages plus petits possèdent des berges plus étroites que les ouvrages plus imposants ce qui diminue d’autant la propagation de la maladie.
- Gestion des réservoirs
Les niveaux d’eau des réservoirs peuvent être ajustés pour offrir un environnement le moins favorable possible au développement des larves de l’anophèle. Ainsi une décharge d’eau plus soudaine au cours de la haute saison de transmission de la maladie permet-elle d’éradiquer la propagation des moustiques en desséchant les flaques présentes sur les berges.
Des actions menées en ce sens autour du réservoir de Koka, en Ethiopie, ont montré qu’il était possible d’améliorer la gestion des infrastructures pour lutter contre le paludisme.
- Prédateurs
Introduire un prédateur de l’anophèle est aussi une option. Certaines espèces de poissons se nourrissent de ses larves. L’Inde en a fait un élément clé de son programme de lutte antipaludique.
Envisager le problème sous un nouveau jour
La lutte pour l’éradication du paludisme est un défi majeur. De tels outils devraient être systématiquement intégrés aux stratégies globales de long terme. Pour ce faire, il faut promouvoir cette nouvelle approche et s’assurer qu’elle retienne toute l’attention au moment de la planification, de la conception et de la réalisation de ces ouvrages.
Les options ne manquent pas pour intégrer la question du paludisme dans de tels projets. Il est grand temps de les mettre en œuvre.
Jonathan Lautze est directeur de recherche spécialisé dans les ressources en eau au sein du Consultative Group on International Agricultural Research. Matthew McCartney est chercheur principal au Consultative Group on International Agricultural Research. Solomon Kibret est chercheur à l’Université de Californie.
Cet article a d’abord été publié sur le site The Conversation