Le président colombien Juan Manuel Santos lors d’un discours à Bogota le 29 août. | GUILLERMO LEGARIA / AFP

Editorial du « Monde ». C’est la guérilla d’Amérique latine qui a duré le plus longtemps : le conflit armé qui oppose les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) au gouvernement de Bogota depuis cinquante-deux ans a coûté la vie à 220 000 personnes et en a déplacé quelque 7 millions d’autres. La grande majorité des 47 millions de Colombiens, en particulier ceux des zones rurales, qui ont le plus souffert, n’a jamais connu la paix.

Aujourd’hui, la perspective de vivre une vie normale leur est enfin offerte. Le 24 août, au terme de quatre ans de difficiles pourparlers menés à La Havane, le gouvernement colombien et les FARC ont signé un accord de paix de 297 pages, qui doit être soumis aux électeurs lors d’un référendum le 2 octobre. Le président américain Barack Obama a salué « une journée historique pour le peuple de Colombie » et rendu hommage au « leadership courageux » du président colombien Juan Manuel Santos, qui a supervisé les négociations.

La victoire du oui, pourtant, n’est pas acquise. Certains détracteurs accusent le président Santos, dont la popularité a beaucoup souffert du ralentissement de l’économie, de vouloir redorer son blason avec un prix Nobel de la paix. L’ex-président Alvaro Uribe mène une campagne active pour le non au référendum, arguant que le rejet de l’accord fournirait un moyen de pression susceptible d’arracher un meilleur accord aux dirigeants des FARC.

M. Uribe emmène ses compatriotes sur une voie dangereuse. Rien ne garantit que les dirigeants des FARC seraient disposés à se rasseoir à la table des négociations ; beaucoup prédisent au contraire qu’ils reprendraient le chemin de la guérilla, à la tête de troupes qui sont loin d’avoir été anéanties.

En Colombie, dans la jungle avec les FARC

La principale pierre d’achoppement des accords de paix colombiens porte, comme souvent dans ces situations, sur le sort réservé aux rebelles. Une fois engagés dans des pourparlers, sauver leur peau et obtenir une forme d’impunité leur importe généralement davantage que le bien-être de la population qu’ils prétendent défendre.

La négociation colombienne n’a pas échappé à la règle et, sagement, le gouvernement a accepté d’intégrer les FARC à la vie politique institutionnelle en leur garantissant une représentation parlementaire jusqu’à 2026. Par ailleurs, les guérilleros échapperont à la prison s’ils acceptent d’avouer leur participation au mouvement. En revanche, un membre des FARC reconnu coupable par la justice après avoir nié toute implication avec la guérilla risquera jusqu’à vingt ans d’emprisonnement.

Une approche qui a fait ses preuves

Cette approche conciliatrice n’est pas toujours compréhensible pour les populations qui ont souffert et considèrent l’amnistie comme une profonde injustice. Ce souci légitime de justice est aussi parfois savamment exploité par des politiques avides de revanche à bon compte. C’est pourtant une approche qui a fait ses preuves dans la résolution de douloureux conflits internes en Afrique du Sud et en Irlande du Nord, pour ne citer que ces exemples.

C’est, de toute évidence, la bonne approche aussi pour la Colombie, comme le soutiennent deux experts de ce conflit, César Gaviria, un autre ancien président colombien qui fait campagne pour le oui, et l’Argentin Luis Moreno-Ocampo, juriste international qui estime que la Colombie tient là une occasion unique de retrouver la paix. Ils ont raison. Pour les Colombiens et pour le reste de l’Amérique latine, il faut souhaiter que le oui l’emporte le 2 octobre.