C’est un résultat qui devrait inciter les médecins à la modération, dans le traitement de l’hypertension des personnes atteintes d’une maladie des artères coronaires (les gros vaisseaux qui irriguent le cœur). Car trop faire baisser la pression artérielle, chez ces personnes, augmente la mortalité ou le risque de survenue d’accident cardiovasculaire (infarctus du myocarde ou accident vasculaire cérébral). Telle est la conclusion d’une vaste étude internationale, publiée le 30 août dans la revue The Lancet. Elle était présentée le même jour au congrès annuel de la Société européenne de cardiologie, à Rome, par le professeur Gabriel Steg, de l’hôpital Bichat (AP-HP, Paris), qui a coordonné cette étude.

Dans 45 pays, les auteurs ont analysé les données d’une cohorte de 22 672 personnes traitées pour hypertension (soit une pression artérielle supérieure à 140/90 mmHg). Toutes présentaient un ou plusieurs signes d’une atteinte de leurs artères coronaires. Par exemple, elles avaient fait un premier infarctus du myocarde depuis plus de trois mois ; l’examen de leurs artères coronaires révélait un rétrécissement de plus de la moitié du diamètre artériel, dû au dépôt d’une plaque de graisses ; ou encore, elles avaient bénéficié d’un pontage coronarien ou de la pose d’un stent.

Enrôlées en 2009 ou 2010, ces personnes ont été suivies durant cinq ans en Europe, au Canada, en Amérique latine et en Asie. Elles ont été classées selon les valeurs des pressions artérielles obtenues sous traitement, par tranches de 10 mmHg. Les chercheurs ont enregistré les événements cardiovasculaires et les décès survenus. Ils ont ensuite calculé le surrisque de ces patients, selon les valeurs de la pression artérielle (PA). Cela, par rapport à une PA de référence : 120-129 et 70-79 mmHg, respectivement, pour les PA systolique et diastolique.

Résultats : une hypertension persistante, malgré le traitement, est associée à un risque accru. Sans surprise, évidemment. Mais une pression artérielle trop basse également. Ainsi, une PA systolique inférieure à 120 mmHg augmente le risque de 56 %. Une PA diastolique comprise entre 60 et 69 mmHg l’accroît de 41 % ; et quand elle chute à moins de 60 mmHg, le risque est doublé. D’où cette fameuse « courbe en U » : le risque est accru pour les valeurs les plus hautes et pour les valeurs les plus basses de la PA (en réalité, il s’agit plutôt d’une courbe « en J », le risque augmentant davantage pour les valeurs hautes).

« Depuis une vingtaine d’années, on avait observé cette courbe en U ou en J, en particulier chez les coronariens. Cela suggérait qu’il fallait faire attention à ne pas trop baisser la pression artérielle chez ces patients », explique Gabriel Steg. Mais depuis deux ans, ce résultat a été « battu en brèche par un essai clinique et une méta-analyse. Ils semblaient indiquer qu’un traitement intensif de l’hypertension, en abaissant la PA à moins de 120 mmHg, était associé à des bénéfices majeurs chez les coronariens. »

D’où un vif débat entre experts. Les données de cette cohorte mettront-elles fin à la controverse ? « Ce sont des données très robustes, obtenues chez un très grand nombre de patients et dans de nombreux pays. Elles confirment les résultats les plus solides dont on disposait jusqu’ici », estime le professeur Xavier Jouven, cardiologue à l’hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP, Paris). Il s’agit par ailleurs d’une étude menée chez des personnes traitées dans la vie courante : elle s’affranchit de biais importants inhérents aux essais cliniques. Pour Xavier Jouven, « c’est un retour au bon sens ». Les courbes en U, souligne-t-il, sont d’ailleurs classiques en biologie : par exemple, pour le poids corporel ou le taux de cholestérol dans le sang.

Pour autant, « ce résultat ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt : il ne doit pas occulter les bénéfices majeurs du traitement de l’hypertension, souligne Gabriel Steg*. Un tiers des personnes hypertendues ne sont toujours pas diagnostiquées. Et parmi les hypertendus traités, un tiers à la moitié ne parvient pas à revenir à des valeurs de PA normales. »

Ce registre a été financé par le laboratoire Servier. « Aujourd’hui, toutes les Big Pharma soutiennent de vastes études de cohortes, sans enjeux commerciaux immédiats pour elles, analyse Xavier Jouven. Philanthropie ? C’est peut-être une manière de redorer leur image. Mais c’est aussi un moyen très sûr d’accéder à des données-clés sur l’épidémiologie des maladies et les caractéristiques des patients à travers le monde. Notamment dans les pays en développement, un marché énorme. »

* Le professeur Gabriel Steg déclare un lien d’intérêt avec Servier et avec de nombreux autres laboratoires pharmaceutiques.