Aux États-Unis, l’université Georgetown veut racheter son passé esclavagiste
Aux États-Unis, l’université Georgetown veut racheter son passé esclavagiste
Par Violaine Morin
L’ancien collège jésuite a vendu 272 esclaves à des propriétaires du sud pour assurer sa survie, les obligeant à quitter le Maryland pour la Louisiane. Aujourd’hui, Georgetown veut rendre hommage aux descendants de ces familles brisées.
L’université Georgetown, à Washington (District of Columbia), le 1er septembre 2016. | JOSHUA ROBERTS / REUTERS
L’université Georgetown, à Washington (District of Columbia), veut payer sa dette. Au XIXe siècle, alors que ce collège ne s’appelait pas encore Georgetown, les Jésuites qui dirigeaient l’école possédaient des esclaves travaillant dans les plantations de sucre du Maryland. Mais en 1838, alors que l’université se retrouvait en difficulté, 272 d’entre eux furent vendus et envoyés dans des plantations en Louisiane. La vente rapporta l’équivalent de plus de 3,3 millions de dollars actuels (2,9 millions d’euros), dont 500 000 dollars qui servirent à éponger les dettes du collège.
Aujourd’hui, Georgetown veut « réparer » sa faute. Un groupe de travail, mis en place en septembre 2015 et réunissant des étudiants, des généalogistes, des professeurs et d’anciens élèves, était chargé de réfléchir au meilleur moyen de rendre hommage aux descendants de ces esclaves.
Messe de réconciliation
Il a été décidé de donner à un des bâtiments le nom de l’une des victimes. L’université débaptise dans la foulée deux bâtiments, qui portaient jusqu’ici le nom de deux prêtres jésuites impliqués dans la vente des 272 esclaves.
L’université va également dresser un mémorial sur le campus et conférer aux descendants d’esclaves le statut de « legacy applicant » pour candidater. Ce statut, normalement réservé aux enfants ou aux frères et sœurs d’anciens élèves, favorise la candidature d’un étudiant, sans toutefois lui garantir une place.
L’ensemble de ces mesures a été annoncé jeudi 1er septembre par le président de Georgetown, John DeGioia, qui a précisé qu’il souhaitait s’excuser « dans la tradition catholique » (l’université est toujours officiellement affiliée à cette religion). Une messe de réconciliation devrait être célébrée.
« Cette université a participé à l’institution de l’esclavage, a déclaré le président devant un parterre d’étudiants et de descendants d’esclaves. Le mal originel qui a façonné les débuts de la république américaine, était présent ici. Nous nous sommes caché cette vérité, nous l’avons enfouie, ignorée, niée. »
Le président de l’université Georgetown, John DeGioia, le 1er septembre 2016 | JOSHUA ROBERTS / REUTERS
L’esclavage comme plan de financement
Les liens étroits entre les universités les plus anciennes des États-Unis et le système esclavagiste n’étaient pas inconnus. Les spécialistes le savent depuis des années, rappelle le Washington Post. Mais le débat actuel sur les relations interraciales sur les campus américains a poussé Georgetown à prendre les devants.
Une douzaine d’universités américaines ont récemment fait des efforts pour reconnaître leur passé. C’est le cas de Brown (Rhode Island), de Harvard (Massachusetts), de Columbia (New York) et de l’université de Virginie. Mais Georgetown est un cas particulier, par le nombre de victimes, les liens directs que la possession d’esclaves a eus avec la santé financière de l’université, et le fait qu’une liste précise de noms a permis d’identifier clairement leurs descendants. C’est aussi la première université à choisir de prendre des mesures concrètes, et non uniquement symboliques.
Dans son rapport, le groupe de travail chargé d’enquêter sur les liens que l’université entretenait avec le système esclavagiste a clairement admis qu’ils étaient plus nombreux que cela n’avait d’abord été imaginé. L’esclavage faisait partie du plan de financement du collège avant même qu’il n’ouvre ses portes, en 1789. Si des esclaves travaillaient dans les plantations, d’autres étaient aussi employés dans les murs de l’université comme domestiques.
Position socialement fragile des descendants d’esclaves
L’idée de conférer un statut spécial aux candidats descendants d’esclaves ne fait pourtant pas l’unanimité. Ces derniers n’ont pas été invités à faire partie du groupe de travail, donc n’ont pas eu l’occasion de s’exprimer dans cet effort de mémoire collectif.
Selon le New York Times, le président de l’université a cependant rencontré plusieurs dizaines de descendants au cours de l’été. Ils devraient être associés au projet de création du mémorial.
L’une des descendantes d’esclaves interrogée par le New York Times, Karran Harper Royal, a regretté que les descendants d’esclaves n’aient pas été formellement invités à venir écouter les annonces du président. « Ils nous disent que nous sommes de la même famille, dit-elle. Eh bien, je suis de la Nouvelle Orléans, et chez moi, quand on se rassemble, on invite la famille. »
Joe Stewart et Patricia Bayonne-Johnson, deux descendants d’esclaves, arrivent à Georgetown pour entendre les mesures annoncées par le président. | JOSHUA ROBERTS / REUTERS
De plus, le nom choisi pour le bâtiment est « Isaac Hall », d’après l’esclave Isaac Hawkins. « Utiliser seulement le prénom rejoue la condescendance raciste des propriétaires d’esclaves », selon des critiques rapportées par le New York Times. Un éditorial du quotidien souligne également que de conférer le statut de « legacy applicant » aux descendants est louable, mais qu’il « manque » ce qui constituerait un vrai palliatif à la position socialement fragile des descendants d’esclaves par rapport aux Américains blancs : un système de bourses pour les aider financièrement, et pas uniquement au stade de l’admission.