La Cour européenne des droits de l’homme saisie de la déchéance de nationalité
La Cour européenne des droits de l’homme saisie de la déchéance de nationalité
Par Jean-Baptiste Jacquin
Cinq ex-binationaux franco-marocains et franco-turc, déchus en 2015 de leur nationalité française pour des faits datant de 2003, estiment cette sanction « politique » et « disproportionnée ».
Les cinq ex-binationaux déchus de leur nationalité française le 7 octobre 2015 par décrets du premier ministre ont saisi, vendredi 2 septembre, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). « Ce n’est pas le procès de la déchéance de nationalité que nous souhaitons faire, mais le procès de son utilisation politique », justifie William Bourdon, leur avocat. De fait, la déchéance de nationalité n’est pas, en tant que telle, contraire à la Convention européenne des droits de l’homme.
La mesure décidée quelques mois après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher visait quatre Franco-Marocains et un Franco-Turc, tous condamnés en 2007 pour avoir apporté un soutien financier au Groupe islamiste combattant marocain (GICM), une organisation dont les auteurs des attentats de Casablanca au Maroc en 2003 (quarante-trois morts dont quatre Français) étaient proches. Ils ont purgé leur peine de prison de cinq à huit ans et n’ont pas fait l’objet d’autre condamnation ni même d’une quelconque poursuite depuis leur libération, il y a déjà plusieurs années. Toutefois, des notes blanches du renseignement intérieur évoquent des fréquentations de milieux islamistes, sans qu’il y ait matière à procédure judiciaire.
Cette déchéance de nationalité, décidée par le gouvernement de Manuel Valls plus de dix ans après les faits qui leur étaient reprochés, revêt, selon M. Bourdon, « un caractère éminemment politique totalement étranger aux considérations qui doivent normalement présider à la lutte contre le terrorisme ». Juridiquement applicable en 2007, elle n’avait jamais été évoquée au cours de leur procès ni après.
Risque imminent d’expulsion
Le Conseil d’Etat, devant lequel Redouane Aberbri, Rachid Ait El Haj, Fouad Charouali, Bachir Ghoumid et Attila Turk ont attaqué cette sanction administrative, a rejeté leur recours le 8 juin. La haute juridiction estime notamment que la déchéance de nationalité est « dépourvue d’effet sur la présence sur le territoire français de celui qu’[elle] vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n’affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale ».
M. Bourdon compte plaider l’inverse à Strasbourg en soulignant que ces cinq personnes, qui ont toutes des familles en France et des enfants français nés sur le territoire national, risquent l’expulsion à tout moment. Ils ont désormais pour seuls papiers un récépissé de demande de titre de séjour en France et le passeport d’un pays où ils n’ont pas vécu. Deux sont nés en France, les autres y sont arrivés jeunes enfants. L’avocat compte invoquer en outre pour quatre des cinq plaignants devant la CEDH le « risque extrêmement sérieux de traitements inhumains ou dégradants » en cas d’expulsion vers le Maroc.
Au final, la sanction va être contestée devant la CEDH en raison de son caractère « disproportionné ». Elle « condamne par ricochet les familles » françaises de ces ex-binationaux.
Lors du débat homérique du premier semestre 2016 autour du projet d’inscription de la déchéance de la nationalité dans la Constitution, l’une des solutions un temps avancées pour rechercher un consensus était de réserver la déchéance aux personnes condamnées pour crime terroriste et non pour délit terroriste. Or ces cinq déchus ont été condamnés en 2007 pour un délit terroriste d’association de malfaiteurs et non pour des infractions de nature criminelle.
Le projet de réforme avorté du printemps prévoyait en outre qu’il revienne au juge judiciaire de prononcer la déchéance comme une peine complémentaire de la condamnation. Une autorité administrative n’aurait plus eu la possibilité de décider une telle sanction près de dix ans après la sanction judiciaire. L’avocat des cinq déchus demande à la CEDH un « traitement prioritaire » des requêtes, en raison du risque imminent d’expulsion. Mais la procédure pourrait durer deux ans.