L’Etat islamique revendique son premier attentat au Kenya
L’Etat islamique revendique son premier attentat au Kenya
Par Bruno Meyerfeld (contributeur Le Monde Afrique, Mombasa)
De nombreuses zones d’ombres demeurent sur les motivations des trois assaillantes qui ont tenté de prendre d’assaut un commissariat de Mombasa.
L’organisation Etat islamique (EI) a-t-elle commis son premier attentat au Kenya ? Mercredi 14 septembre, l’EI a revendiqué l’attaque d’un commissariat à Mombasa, survenue dimanche. C’est la première fois que l’organisation djihadiste revendique un attentat au Kenya, déjà durement éprouvé par les attaques du groupe armé somalien Al-Chabab.
Dimanche 11, aux alentours de 10 heures du matin, trois jeunes femmes se présentent au poste de police central de Mombasa afin de rapporter le vol d’un téléphone portable. Soudain, l’une d’elles se jette sur un policier, le poignarde, tandis qu’une autre tente de mettre le feu au commissariat grâce à ce que la police décrit comme une « bombe incendiaire ». Le trio d’assaillantes est immédiatement tué par la police. Bilan officiel : deux officiers blessés, en plus des trois femmes.
Les autorités ont aussitôt qualifié l’attaque – qui a eu lieu le jour de la commémoration des attentats du World Trade Center – « d’acte terroriste ». L’EI, de son côté, a présenté les trois femmes comme des « partisanes », ayant mené au Kenya une opération « en réponse aux appels à prendre pour cibles les Etats croisés ».
Sympathisantes des Chabab et de l’Etat islamique
Pourtant, de nombreuses zones d’ombres demeurent sur cette attaque. Ainsi, la police affirme avoir retrouvé une ceinture d’explosifs sur le cadavre d’une des assaillantes, alors que le quotidien kényan Daily Nation soutient qu’il s’agissait en réalité d’un simple gilet pare-balles. Plusieurs questions demeurent sans réponse : la fameuse « bombe incendiaire » n’était-elle pas en réalité un simple jerrican rempli de liquide inflammable ? Les assaillantes se sont-elles immolées par le feu ou ont-elles aspergé le commissariat de pétrole ? Et pourquoi avoir tenté d’attaquer le commissariat le mieux gardé de la ville, plutôt qu’une « cible molle », comme un marché ou une plage accueillant des touristes ?
Le profil des trois femmes est tout aussi flou. Il semble avéré qu’elles avaient environ 20 ans, et que deux d’entre elles étaient des sœurs, de nationalité kényane. La police et les journaux les qualifient de sympathisantes à la fois du groupe Al-Chabab et de l’EI. Deux de ces jeunes femmes auraient étudié à l’école coranique Qubaa de Mombasa. « Une école coranique normale. Difficile de croire que c’est là qu’elles se seraient radicalisées », s’étonne un diplomate européen. L’une des assaillantes, décrite comme la meneuse du groupe, aurait par ailleurs été expulsée de l’établissement, mais selon les médias kényans pour avoir refusé de porter l’uniforme de l’école et non au pour de quelconques actes extrémistes, entretenant encore un peu plus la confusion sur le parcours de ces jeunes femmes.
Pas de place au doute
La police kényane, elle, n’a pas de doute. Dès dimanche, elle a pris d’assaut une maison du quartier de Kibokoni, dans le centre historique de Mombasa, et arrêté trois « complices », présentées comme les tantes d’une des assaillantes : trois Somaliennes, réfugiées, ne parlant ni anglais ni swahili, dont une est sourde, qu’on soupçonne au mieux d’avoir hébergé les assaillantes, au pire d’avoir fourni une base aux opérations de l’EI et des Chabab à Mombasa.
Difficile pourtant de croire qu’une même cellule puisse appartenir aux deux groupes djihadistes concurrentes, qui s’opposent aujourd’hui sur le terrain somalien. A Kibokoni, personne d’ailleurs ne semble croire à la version donnée par la police. Dans ce quartier métissé, entrelacs de ruelles et de cultures, peuplé de descendant d’immigrés venus d’Oman, d’Inde, du Yémen ou de Somalie, « la police ne vient jamais, insiste le patron d’un restaurant de la rue où a eu lieu la descente des forces de sécurité dimanche. C’est tranquille. S’il y avait une cellule des Chabab ou de Daech (acronyme arabe de l’EI), on l’aurait quand même remarqué, non ? »
« Confusion »
En ce milieu de semaine, la police perquisitionne à tout va. Alors que le père des deux sœurs assaillantes était interrogé, les forces de sécurité arrêtaient aussi la veuve d’un ancien imam radical de Mombasa, Aboud Rogo Mohammed. L’homme, autrefois soupçonné de collusion avec les Chabab, a été assassiné il y a déjà quatre ans dans des circonstances mystérieuses. Difficile pour l’instant de saisir le rapport entre cette dernière arrestation et l’attaque du 11 septembre.
Au Kenya, l’EI en est encore à ses balbutiements. En mai, plusieurs membres présumés de l’organisation avaient certes été arrêtés. « Mais, pour l’instant, on n’a rien vu de très concret. On ne peut certes pas exclure un loup solitaire… mais à ce stade, ce serait une vraie surprise », prévient un spécialiste des questions de sécurité sur la côte, qui préfère rester anonyme. Et les Chabab ? « Ça ne ressemble pas du tout à leur mode opératoire, poursuit-il. Dans les attaques du Westgate en 2013 et de Garissa en 2015, ils ont prouvé qu’ils étaient capables d’attaques de grande envergure et soigneusement organisées. Pourquoi alors envoyer trois jeunes femmes armées de couteaux et d’un peu d’essence attaquer le plus grand commissariat de la ville ? A ce stade, avec toute la confusion de l’enquête, on ne peut pas exclure qu’un fait divers, avec une altercation violente et une bavure, ait été transformé en attentat par la police et finalement récupéré par l’EI. »
Difficile en tout cas de s’y retrouver dans les différentes versions données par des forces de sécurité kényanes, par ailleurs régulièrement accusées de discrimination contre les musulmans, de torture, d’assassinat, et aussi d’incompétence. Un signe ? Le commissariat a rouvert ses portes sans mesure de sécurité particulière. Comme si la menace n’était finalement pas si sérieuse.