On peut désormais traquer la surpêche depuis son ordinateur
On peut désormais traquer la surpêche depuis son ordinateur
LE TEMPS.CH
Lancé aujourd’hui, le site Global Fishing Watch permet de contrôler l’activité des navires de pêche. Auparavant, seuls les pays développés pouvaient surveiller la pêche sur leurs côtes.
Carte issue du site internet Global Fishing Watch.
Envie de participer à la lutte mondiale contre la surpêche et la pêche illégale, qui vident peu à peu les océans de leurs poissons ? Une nouvelle plateforme Internet offre désormais cette possibilité à tout un chacun. Développée par Google en partenariat avec les ONG SkyTruth et Oceana, Global Fishing Watch permet de visualiser en ligne les déplacements de plus de 35 000 navires de pêche sur tous les océans. « Cet outil va apporter une transparence inédite dans le domaine de la pêche commerciale. Il pourrait changer la manière dont on gère les ressources halieutiques », affirme Lasse Gustavsson, directeur Europe d’Oceana.
Profitant de ses immenses capacités de gestion des données et de cartographie, le géant américain Google a déjà développé par le passé des sites de surveillance de la déforestation ou de suivi de certaines espèces menacées. Cette fois, c’est à la problématique majeure de la surpêche qu’il s’attaque. « Depuis une trentaine d’années, les pêcheurs attrapent de moins en moins de poissons. Dans de nombreuses régions du monde, les stocks sont surexploités. Pour leur permettre de se reconstituer, il est urgent de mettre en place davantage d’aires marines protégées, de lutter contre les techniques de pêche destructrices, et d’instaurer des quotas de prises plus restrictifs », estime Lasse Gustavsson.
Pour atteindre ces objectifs, un suivi mondial des flottes apparaît crucial. C’est là que Global Fishing Watch entre en jeu. L’outil se base sur les données du Système d’identification automatique (AIS, selon l’acronyme anglais), par lequel les bateaux communiquent entre eux leur position, leur direction et leur vitesse, via un réseau satellitaire. « Ce système largement utilisé à travers le monde a été développé à l’origine pour des raisons de sécurité, afin d’éviter que des navires entrent en collision. Nous avons eu l’idée de l’adapter pour la surveillance de la pêche », explique Brian Sullivan, l’ingénieur en charge du projet chez Google.
Analyse des trajectoires
Plus de 22 millions de données sont entrées dans le système AIS chaque jour. Global Fishing Watch filtre ces données, pour ne recueillir que celles qui émanent de bateaux de pêche, et pas des cargos par exemple. « Avec l’aide de scientifiques, nous avons aussi mis au point un algorithme qui analyse les trajectoires des navires, afin de pouvoir les représenter de la manière la plus lisible possible. Il est ainsi possible de savoir s’ils sont en déplacement ou en train de pêcher », relate Brian Sullivan.
Après s’être inscrit avec une simple adresse mail, l’utilisateur peut se rendre sur la plateforme et choisir la zone qui l’intéresse en zoomant. Chaque point lumineux correspond à un bateau de pêche sur lequel on peut cliquer pour en connaître le nom, la nationalité et les déplacements. Les données permettent de remonter jusqu’à 2012 et sont actualisées jusqu’à trois jours avant le moment où elles peuvent être consultées.
Les porteurs du projet espèrent que les organisations de protection de l’environnement, les autorités, les journalistes et pourquoi pas les simples citoyens se serviront de ces données pour mieux surveiller les navires. Une des applications possibles est la surveillance des réserves marines protégées. Grâce aux images fournies par la plateforme, le gouvernement des îles Kiribati, dans l’océan Pacifique, a pu s’assurer que la pêche avait bien reculé dans l’aire protégée des îles Phoenix, où elle avait été interdite en 2015. La zone étant très vaste, il aurait été impossible de le contrôler sans l’aide des satellites.
Divers systèmes de géolocalisation et de contrôle des navires existent déjà. Dans l’Union européenne, tous les bateaux de plus de 12 mètres (soit environ 30 % de la flotte) sont soumis à un autre système de surveillance par satellites, dit VMS. « Il sert avant tout à contrôler le respect de la réglementation, par exemple en s’assurant que les plus gros bateaux ne pêchent pas trop près des côtes. Mais il est aussi de plus en plus utilisé dans une optique de gestion des stocks », indique Emilie Leblond, de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer).
Intuitif et facile d’accès
Cependant, par rapport à ce type de système, Global Fishing Watch a l’avantage de couvrir le monde entier et d’être accessible à tous. « Jusqu’à aujourd’hui, seuls les pays développés avaient la possibilité de surveiller la pêche sur leurs côtes. Or des régions comme l’Afrique de l’Ouest ou des pays comme Madagascar font aussi face à des problèmes de surpêche dans leurs eaux territoriales », souligne Lasse Gustavsson.
Le site Internet souffre cependant de quelques limites. « D’abord, il faudrait s’assurer de la fiabilité de l’algorithme qui décrète qu’un navire est en pêche ou pas, car c’est un exercice très délicat, relève Emilie Leblond. Par ailleurs, le système AIS ne concerne pas l’ensemble des navires. Donc, ce n’est pas parce qu’une zone apparaît sans bateau qu’aucune pêche n’y est pratiquée. Peut-être les bateaux qui s’y trouvent ne sont-ils simplement pas équipés d’émetteurs. » De plus, le personnel d’un navire peut volontairement arrêter son émetteur AIS, et ainsi disparaître le temps de se prêter à des activités illégales ! « Cela n’empêche pas le suivi des fraudeurs, rétorque Brian Sullivan. Car si on s’aperçoit qu’un navire coupe son émetteur 90 % de son temps, cela prouve qu’il a des choses à cacher… »
La mise sur pied de Global Fishing Watch a coûté quelque 10 millions de dollars, financés grâce au soutien de généreux donateurs, parmi lesquels le comédien américain Leonardo DiCaprio. « Parce que c’est un outil intuitif et facile d’accès, cette plateforme pourrait faire avancer les choses, dans un domaine qui évolue vite, avec de plus en plus de navires qui font l’objet d’un suivi », conclut Emilie Leblond. Serait-ce bientôt la fin de l’impunité dans les océans ?
Pascaline Minet (Le Temps)