Trois après le référendum sur le Brexit, les fractures de l’Union européenne
Trois après le référendum sur le Brexit, les fractures de l’Union européenne
Par Philippe Ricard, Blaise Gauquelin (Vienne, correspondant), Alain Salles
L’UE espère, lors du sommet de Bratislava, vendredi 16 septembre, panser les plaies creusées par le vote sur le Brexit. Mais les préparatifs de ce premier sommet à vingt-sept ont surtout mis en avant les rivalités entre Etats membres.
Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, lors de son discours sur l’état de l’Union, devant le Parlement à Strasbourg, le 14 septembre 2016. | FREDERICK FLORIN / AFP
Depuis le vote sur le Brexit, les responsables européens multiplient les mises en garde sur la possible mort de l’Union européenne (UE), pour mieux en appeler à l’unité. Le sommet de Bratislava, vendredi 16 septembre, sera le premier organisé sans les Britanniques, depuis leur vote en faveur du Brexit, le 23 juin. Il s’agit de tenter d’endiguer l’onde de choc suscitée par cette perspective.
Mais, en prélude, ce sont surtout les divisions qui se sont fait entendre, d’Athènes à Budapest, en passant par Berlin ou Bruxelles. Du coup, l’obsession des dirigeants européens semble être d’éviter les sujets susceptibles de braquer l’un ou l’autre camp, comme le Brexit lui-même, l’immigration ou l’approfondissement de la zone euro.
Un moteur franco-allemand en panne
Jeudi 15 septembre, la chancelière allemande, Angela Merkel, et le président français, François Hollande, devaient se retrouver pour un déjeuner de travail afin de remettre en marche ce moteur franco-allemand à bout de souffle. Ils se sont entendus pendant l’été – avec l’Italien Matteo Renzi – sur ce qui ressemble aux plus petits dénominateurs communs : sécurité, croissance et jeunesse.
Mais le moteur franco-allemand ne peut repartir au moment où les deux dirigeants sont confrontés à des échéances électorales difficiles. M. Hollande est contesté depuis longtemps au sein de sa majorité. Mme Merkel est aussi désormais critiquée dans son propre pays, un an avant les élections législatives, en raison de sa gestion jugée trop généreuse de la crise des réfugiés.
Un parti d’extrême droite, Alternative pour l’Allemagne, est en train de s’installer dans la vie politique allemande, avec la chancelière pour cible, tandis qu’en France, la présidente du Front national, Marine Le Pen, est bien placée pour atteindre le second tour de l’élection présidentielle en mai 2017.
Une zone euro paralysée
A peine remise de la crise des dettes souveraines, qui a failli provoquer l’expulsion de la Grèce mi-2015, l’union monétaire demeure fragile. Son approfondissement, jugé nécessaire pour stabiliser durablement l’euro, est dans les limbes. Au plus fort de la tempête, Angela Merkel a cherché en vain à changer les traités pour muscler la gouvernance de la zone euro. Elle a dû y renoncer en raison des réserves de ses partenaires, même si François Hollande se montre davantage ouvert à une telle perspective désormais.
Au fond, les dirigeants européens savent qu’un surcroît d’intégration serait difficile à faire accepter et ratifier dans chacun de leurs pays, au moment où les formations eurosceptiques ont le vent en poupe un peu partout sur le continent.
En Italie, Matteo Renzi joue sa survie à l’occasion du référendum, à l’automne, sur la réforme constitutionnelle, transformée par Beppe Grillo et le reste de l’opposition en scrutin anti-Renzi. Les Pays-Bas organisent des élections législatives en mars 2017, sous la menace d’une poussée du parti d’extrême droite de Geert Wilders, qui promet un référendum à haut risque sur l’appartenance à l’UE. La situation n’est pas meilleure en Espagne, sans gouvernement depuis dix mois, ou en Autriche, sous la menace d’une victoire de l’extrême droite à l’occasion du « troisième » tour de l’élection présidentielle, qui n’en finit pas d’être ajournée.
La bataille budgétaire entre le Nord et le Sud
Vendredi 9 septembre, la cacophonie européenne était à son comble, réactivant une opposition Nord-Sud qui s’était pourtant largement atténuée depuis la crise grecque. A Athènes, le premier ministre grec, Alexis Tsipras, avait réuni les pays méditerranéens de l’UE, tout en tonnant contre « l’Europe allemande », et le tout-austérité cher à Angela Merkel.
Réunis le même jour en Slovaquie, certains ministres des finances de la zone euro n’ont pas tardé à ironiser sur cette rencontre, comme l’Allemand Wolfgang Schäuble ou le Néerlandais Jeroen Dijsselbloem : « L’été est terminé. Il faut ranger le matériel de camping », a lâché ce dernier au sujet de la Grèce.
Les pays du Sud plaident pour assouplir les règles du pacte de stabilité, renforcées lors de la crise de l’euro. Ce que refusent bec et ongles les pays du Nord, Allemagne en tête, qui regrettent que certains pays, dont la France, ne fassent pas les efforts nécessaires pour remettre de l’ordre dans leurs comptes publics.
En guise de compromis, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, ne veut pas refondre à nouveau cet instrument de discipline collective, mais en faire une application plus « politique », quitte à paraître trop indulgent aux yeux des tenants de l’orthodoxie budgétaire. Il a proposé mercredi 14 septembre, dans son discours sur l’état de l’Union devant le Parlement, de doubler le volume du plan qui porte son nom, afin de doper les investissements dans chacun des Etats membres.
Des pays de l’Est vindicatifs
La polémique déclenchée par le ministre des affaires étrangères luxembourgeois, Jean Asselborn, qui a demandé, mardi 13 septembre, la sortie au moins temporaire de la Hongrie de l’UE, en raison de sa politique dure envers les réfugiés, est révélatrice des tensions du moment. Le sujet n’est pas à l’ordre du jour à Bratislava, mais il donne une idée du fossé qui s’est creusé entre les pays d’Europe centrale et les anciens Etats membres, fondateurs ou pas.
En 2015, à l’occasion de l’arrivée de centaines de milliers de candidats à l’asile, un nouveau front a surgi avec les pays d’Europe centrale, qui ont pris le leadership du camp des souverainistes. Viktor Orban symbolise l’opposition de Budapest, mais aussi de la Pologne, de la Slovaquie et de la République tchèque, aux institutions bruxelloises, considérées comme trop proches des pays fondateurs.
Ces quatre Etats veulent présenter à Bratislava une position commune, qui risque d’entraver les projets de Paris, de Berlin et du sud de l’Europe pour relancer l’Union. Ils souhaitent un renforcement du rôle des Etats au détriment de la Commission, qu’ils rendent responsable du Brexit.
Le chef du gouvernement hongrois se sent assez solide pour braver ses homologues. Le 2 octobre, il organise dans son pays un référendum contre le dispositif européen des quotas de répartition des migrants, adopté en 2015 contre son avis.
Ce dirigeant, au pouvoir depuis 2010, est mis en cause pour sa dérive autoritaire. Il sait jouer de son appartenance au Parti populaire européen, qui s’est bien gardé jusqu’ici de l’exclure. Il a élargi sa zone d’influence au moment de la fermeture de la route des Balkans en mars, en s’alliant avec l’Autriche et les pays des Balkans. Et compte sur la réunion de Bratislava pour apparaître comme une alternative à l’Europe affaiblie d’Angela Merkel.