« Where to Invade Next » : Michael Moore admire l’Europe avec des œillères américaines
« Where to Invade Next » : Michael Moore admire l’Europe avec des œillères américaines
Par Jacques Mandelbaum
Le cinéaste dresse un éloge drôlement naïf du Vieux Continent.
Where to Invade Next ? (« Quel pays envahir maintenant ? ») C’est la question que se pose ce cher Michael Moore, gauchiste américain aimé des Français – Fahrenheit 9/11, Palme d’or au Festival de Cannes en 2004, a conquis 2 millions de spectateurs – mais disparu des écrans depuis 2009 (Capitalism : a Love Story).
Célébrer son retour requiert donc de remettre les pendules à l’heure sur le grand malentendu qui court à son sujet, dont il est d’ailleurs l’habile instigateur. Le nœud du problème – opposant avec une certaine virulence amateurs et contempteurs de la méthode Moore – tient à la nature de ses films, qui prétendent être des documentaires, qui sont en tout cas toujours présentés et donc généralement perçus comme tels, tout en étant loin du cahier des charges dévolu au genre.
Non que Michael Moore n’apporte dans ses films quantité d’informations intéressantes et avérées, qui font tout à la fois sens et mouche. La manière de les assembler et de les présenter – qui fait la part belle à une manipulation orientée des faits, au primat du spectacle et à une rhétorique où l’humour noir le dispute à l’exposition de soi – conduit néanmoins ses films dans une zone qui n’a plus guère d’assise commune avec les œuvres de Robert Drew, Johan van der Keuken ou Nicolas Philibert. Repartir de ce postulat, c’est donner à tout un chacun la possibilité de voir sereinement son nouveau film, en s’évitant quelques disputes pénibles en public à la sortie de la salle.
La mission de Where to Invade Next, plus aimable et primesautière qu’à l’ordinaire, consiste donc pour Michael – fort du constat que les Etats-Unis ont perdu toutes leurs guerres depuis 1945 – à envahir l’Europe au nom de son pays, pour en rapporter des bienfaits susceptibles de servir sa patrie. De cette invasion on ne peut plus pacifique ressort un voyage insolite à travers le Vieux Continent, au cours duquel Moore picore de-ci, de-là, des miettes de sociabilité heureuse, de bonne gouvernance et d’idéal collectif, qu’il accapare pour son pays, dont tout le monde comprend qu’il en est totalement dépourvu et que, ce faisant, le réalisateur taille, comme d’ordinaire, un beau costume à ses dirigeants.
Utopie
Moore repartira ainsi au pays après avoir annexé d’autorité les congés payés d’Italie, la qualité des cantines scolaires de France, les prisons modèles de Norvège, la législation sur la consommation de drogue du Portugal, le système éducatif de Slovénie, l’efficience démocratique de l’Islande, on en passe et des meilleures. Chaque étape est fabriquée sur le même moule : un Moore faussement ébahi, clignant de l’œil vers le spectateur américain, dialogue avec un interlocuteur qui lui ouvre les perspectives inouïes d’un modèle d’intelligence politique. Tout cela, qui est bel et bon, pourrait nourrir l’éternelle utopie d’un gouvernement idéal des hommes.
Il est toutefois quelques réalités que Michael Moore passe sous silence et qui limitent singulièrement la portée de ses découvertes. La première tient à l’exemplarité des cas qu’il nous propose, dont rien ne vient attester qu’il s’agit d’une loi générale dans le pays qui l’abrite. La question de la qualité des cantines scolaires en France pourra de la sorte, à l’instar de chaque chapitre, être rapidement relativisée. La seconde est que la réunion artificielle de ces vertus européennes, à l’heure où se délitent toutes les avancées sociales et où remontent les vieux démons, ne témoigne au fond d’aucune réalité européenne en tant que telle et pas davantage d’une quelconque nation qui la constitue.
Car il est assez clair, en dépit des apparences, que Michael Moore dialogue en cette affaire moins avec l’Europe qu’avec l’Amérique. Tout au plus la fantasme-t-il, à l’heure où elle n’a jamais été aussi inféodée au modèle américain, comme un « autre » de l’Amérique. On pourrait donc parfaitement imaginer, en guise de relance à Michael Moore, un film qui épinglerait au moins une vertu dans chaque Etat d’Amérique et qui ferait une aussi belle carte postale à destination de l’Europe.
Trailer WHERE TO INVADE NEXT - Michael Moore
Durée : 02:11
« Where to Invade Next », documentaire américain de Michael Moore (2 heures). Sur le Web : www.chrysalis-films.com/wheretoinvadenext.html et wheretoinvadenext.com