Le champion d'échecs et homme politique russe, Garry Kasparov, discute avec le public, le 17 septembre 2016 à l'Opéra Bastille, lors de la troisième édition du Monde Festival. | Olivier Laban-Mattei / Myop pour Le Monde

A quelques minutes du début de la conférence, la salle est quasi pleine. Parmi le public, beaucoup de jeunes. Pourquoi ils sont venus aujourd’hui ? Tous, ou presque, répondent « pour voir le plus grand joueur d’échecs », avant d’ajouter « mais son parcours politique est aussi intéressant ». Garry Kasparov semble donc avoir réussi son pari : user de sa notoriété pour pointer du doigt la politique de son pays.

Et, pour ça, il ne manque pas de métaphores. Que ce soit pour décrire le président russe – « Poutine est plutôt un joueur de poker. Les dictateurs ne peuvent pas jouer aux échecs car le jeu est transparent. » – ou pour parler de la corruption de la politique de son pays – « Aux échecs on a des règles fixes et des résultats imprévisibles. En politique c’est le contraire » –, tout le ramène à sa passion première. « Il pense les problèmes géopolitiques de manière originale, explique Jean-Pierre, 87 ans. C’est ce qui le rend aussi agréable à écouter. » Et les rires du public ne font que conforter ce sentiment.

Carole, 28 ans, et Alexandre, 29 ans, sont venus assister ensemble à la conférence. Lui joue aux échecs, elle non, mais l’un et l’autre s’accordent pour dire que Kasparov « maîtrise son discours ». « On le sent très intelligent, explique Alexandre. Si je suis ici, c’est surtout pour l’entendre parler de psychologie, de la manière dont il aborde ses matchs. » Et le joueur ne l’a pas déçu. « Après avoir joué longtemps avec un adversaire, vous ressentez ses émotions, témoigne Garry Kasparov. Les échecs c’est de la psychologie. Tout est question de prise de décision. C’est la psychologie qui va apporter la victoire d’un côté ou de l’autre. »

Un combat perpétuel

Mais quand on arrive au plus haut niveau, quand on a « tout gagné », comme l’explique Pierre Barthélémy, journaliste au Monde et animateur de la rencontre, il semble difficile de faire face aux déconvenues. Aussi, quand le journaliste lui rappelle sa défaite face à l’ordinateur Deepblue, alors qu’il avait auparavant affirmé qu’« aucun tas de ferraille ne pourrait jamais [l] e battre », Kasparov n’oublie pas d’ajouter quelques précisions. « Tout d’abord, je tiens à rappeler que j’ai gagné le premier match », explique-t-il au public hilare. Puis, rapidement, le joueur russe dévie sur ses réussites plutôt que de continuer à s’épancher sur ses défaites.

Il raconte alors ses matchs d’anthologie avec son adversaire de toujours Anatoli Karpov, pour le plus grand plaisir du public et de Sarah, 11 ans, plus jeune spectatrice de la conférence. Malgré son jeune âge, cette fillette connaît bien Kasparov car elle joue aux échecs depuis deux ans. Et même si elle n’a « pas tout compris aux phrases politiques », la joueuse a été « très impressionnée » par cette rencontre du maître des échecs.

Aujourd’hui en exil aux Etats-Unis, le joueur est conscient des risques qu’il prend à s’engager aussi activement en politique. Et quand un participant lui demande s’il pense être en danger, le joueur lui répond avec humour : « Beaucoup d’ennemis de Poutine ont fini morts. Donc… disons que je ne bois pas le thé avec des étrangers. » Ainsi, onze ans après s’être retiré de la compétition internationale, le joueur refuse toujours de dévoiler ses faiblesses aux échecs. Selon lui, pour ne pas donner un avantage à ses adversaires. Echiquéens ou politiques, il ne le précise pas.

Alors que le Russe a construit sa vie sur la lutte, la dernière question qui émane du public semble bien légitime. « Entre Poutine et [l’ancien champion du monde d’échecs] Karpov, qui est Garry Kasparov sans un adversaire à combattre en face de lui ? » Le joueur d’anthologie est alors obligé d’admettre qu’il ne « recule jamais devant un bon combat ».