Près de 2,5 millions d’électeurs sont appelés aux urnes, dimanche 18 septembre, à Berlin, pour un scrutin dont l’objet est double : d’une part, l’élection des quelque 140 membres du parlement régional (Berlin étant un des 16 Länder du pays), qui eux-mêmes seront chargés d’élire le maire ; d’autre part, l’élection des douze conseils d’arrondissement de la ville (Mitte, Spandau, Friedrichshain-Kreuzberg, etc.).

Deux semaines après celles organisées dans le Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, ces élections ont une dimension symbolique particulière. Même si Berlin n’est que le huitième Land le plus peuplé du pays (3,4 millions d’habitants), et même si son histoire et sa sociologie en font un territoire politiquement très singulier à l’échelle de l’Allemagne, son statut de capitale fédérale donnera inévitablement aux résultats du scrutin de dimanche une portée nationale.

De ce point de vue, le recul attendu de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) ne manquera pas d’être analysé comme l’expression d’un nouveau vote sanction contre la chancelière, Angela Merkel, qui s’est personnellement impliquée dans la campagne. Selon les derniers sondages, la CDU obtiendrait environ 18 % des voix, soit cinq points de moins que lors des précédentes élections, en 2011.

La date est également propice à une telle lecture des résultats. Il s’agit en effet du dernier scrutin organisé dans le pays avant les trois élections régionales prévues au printemps 2017 dans la Sarre (27 mars), le Schleswig-Holstein (7 mai) et la Rhénanie-du-Nord-Westphalie (14 mai). Pour cette raison, le résultat de dimanche va donc forcément peser sur la vie politique nationale, et ce au moment même où les différents partis s’apprêtent à se mettre en ordre de marche en vue des élections législatives de septembre 2017. Deux enjeux, à ce titre, sont particulièrement importants.

  • Quelle coalition pour diriger Berlin ?

Selon les derniers sondages, la liste du Parti social-démocrate (SPD) devrait arriver en tête, dimanche, avec environ 22-23 % des voix. Le maire sortant, Michaël Müller, un ancien imprimeur de 51 ans qui a succédé à Klaus Wowereit (SPD) après la démission de celui-ci en 2014, devrait donc rester aux commandes de la capitale.

Si Berlin, sauf surprise, devrait donc garder un maire de gauche, ce qui est le cas depuis 2001, la coalition au pouvoir (SPD/CDU) ne devrait pas, en revanche, être reconduite. M. Müller l’a clairement fait savoir pendant la campagne. Estimant que « le SPD et l’actuelle CDU de Berlin ont des points de vue fondamentalement différents », allusion aux prises de position de Frank Henkel, tête de liste CDU, en faveur de l’interdiction de la burqa et de la suppression de la double nationalité, il a déclaré, à la mi-août, que son souhait était de changer de partenaire et de gouverner désormais avec les Verts.

Une telle coalition sera-t-elle néanmoins possible ? Rien n’est moins sûr car même si les Verts, dimanche, pourraient obtenir entre 15 % et 18 % des voix, leur poids ne sera pas suffisant pour constituer une majorité avec un SPD à peine au-dessus de la barre des 20 %. Dans ce cas, une troisième force politique serait nécessaire pour former une coalition, en l’occurrence le parti de gauche radicale die Linke, que les derniers sondages créditent d’environ 15 % des voix.

Jusqu’à présent, M. Müller s’est montré réservé face à une telle option, considérant que « les coalitions à trois ne sont ni simples ni souhaitables ». Mais il ne l’exclut pas pour autant, sachant que les résultats de dimanche risquent de la rendre inévitable dès lors qu’il ne souhaite plus gouverner avec la CDU.

Au sein de die Linke, qui a déjà dirigé Berlin aux côtés du SPD de 2001 à 2011, l’hypothèse est en revanche envisagée de façon beaucoup plus positive. Pour les dirigeants du parti, une capitale gouvernée par une majorité de gauche avec une CDU dans l’opposition serait, à un an des élections législatives, un signal politique fort adressé à l’ensemble du pays.

  • Quel sera le score de l’AfD ?

Deux semaines après être arrivé deuxième, derrière le SPD mais devant la CDU, en Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, le score du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) est l’autre grande inconnue du scrutin. Ses dirigeants misent beaucoup sur le vote de dimanche pour installer un peu plus le parti au cœur de la vie politique allemande. Ces derniers jours, ils ont d’ailleurs imprimé une nouvelle série d’affiches que l’on peut voir un peu partout dans la capitale et qui proclament : « Hier Schwerin [la capitale du Mecklembourg], aujourd’hui Berlin. »

Selon les derniers sondages, l’AfD, dont la liste est conduite par Georg Pazderski, un ancien officier âgé de 64 ans, pourrait recueillir, dimanche, environ 15 % des voix. Rien ne dit cependant que son score ne sera pas supérieur : lors des derniers scrutins régionaux, les sondages avaient en effet eu tendance à sous-estimer le poids de l’AfD. Si tel est à nouveau le cas, le parti pourrait devancer die Linke, ce qui serait pour lui une victoire majeure dans une ville où la gauche radicale est solidement implantée et relativement active.

Face à une telle perspective, la mobilisation contre l’AfD a pris une ampleur inédite dans les tout derniers jours de la campagne. Dans un message publié jeudi sur sa page Facebook, Michäel Müller, pourtant peu coutumier des déclarations tonitruantes, en a fait un enjeu central du vote de dimanche : « 10 % ou 14 % pour l’AfD, est-ce sans importance ? Non. Ce serait perçu dans le monde entier comme le signe du retour de l’extrême droite et des nazis en Allemagne. Berlin n’est pas n’importe quelle ville. Berlin est une ville qui, de capitale de Hitler et de l’Allemagne nazie, est devenue un phare de la liberté, de la tolérance, de la diversité et de la cohésion sociale. » Tout un symbole : vendredi, l’une des vitrines de ce Berlin d’aujourd’hui, le Berghain, le plus célèbre club de musique électro de la ville, est à son tour entré dans la campagne en indiquant, dans sa programmation de dimanche : « Allez voter, barrez la route à la droite populiste. »

Mais une telle mobilisation ne s’explique pas seulement par la sociologie particulière de Berlin. Elle est également liée à la double nature du scrutin de dimanche, comme l’a rappelé par Michaël Müller dans une récente interview à Bild am Sonntag. « Le problème ne serait pas seulement d’avoir 10 députés AfD sur 140 au parlement régional. Ce n’est pas ça qui va changer la ville. Un plus gros problème serait que l’AfD ait, dans chaque arrondissement, un ou deux adjoints au maire », autrement dit des élus directement chargés des finances, de l’éducation, de la santé ou de la culture.

Selon des projections publiées lundi 12 septembre par le quotidien berlinois Tagesspiegel, l’AfD serait assuré d’occuper de telles responsabilités dans trois arrondissements de l’ancien Berlin-Est (Marzahn-Hellersdorf, Lichtenberg et Treptow-Köpenick). Pour une formation dont les dirigeants ne cachent pas qu’ils souhaitent participer au pouvoir et non demeurer à vie dans l’opposition, le vote de dimanche est donc particulièrement important. En sortant de son rôle purement tribunicien pour assumer des responsabilités gestionnaires, l’AfD joue sa crédibilité. Autrement dit une grande partie de son avenir.