Qu’y a-t-il sous le capot de la « machine » Admission post-bac (APB), qui permet d’effectuer ses vœux d’inscription dans l’enseignement supérieur ? Des irrégularités juridiques et une opacité de fonctionnement que le ministère va devoir lever rapidement. C’est ce que l’on peut répondre après la série de décisions juridiques et administratives concernant APB intervenues depuis le mois de juin.

La dernière en date provient de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Dans un avis rendu vendredi 16 septembre que Le Monde a pu consulter, celle-ci informe l’association Droits des lycéens qu’elle est bien en droit d’obtenir du ministère de l’éducation nationale la communication du « code source » de l’algorithme APB. L’association réclame depuis de longs mois cet algorithme qui préside aux destinées de près de 800 000 élèves ou étudiants chaque année et dont le ministère s’était contenté de publier en juin les règles basiques de fonctionnement.

« Si le ministère ne nous communique pas ce code source, nous pourrons nous appuyer sur cet avis de la CADA pour l’obliger à le faire devant un tribunal administratif », commente le président de l’association, Clément Baillon, rompu aux arcanes du droit administratif.

Cette décision intervient dans un climat de défiance et d’interrogation sur APB, depuis que Droits des lycéens s’est lancée, début avril, dans une bataille contre « l’opacité » qui entoure le fonctionnement du logiciel lorsqu’il doit départager les ex aequo. Pas tant dans les formations sélectives (prépas, BTS, IUT, écoles de commerces, etc.) qui peuvent, par définition, utiliser leurs propres critères de sélection. Mais au sein des filières universitaires en tension (droit, sport, études de santé, etc.) obligées de fixer des « capacités d’accueil limitées » pour endiguer le flot de candidats. Même si l’université française est, selon le code de l’éducation, « ouverte à tous les titulaires du baccalauréat », une sélection officieuse s’opère alors. Une règle de priorité fait passer en premier ceux de l’académie, puis, s’ils sont trop nombreux, ceux parmi eux ayant placé la formation en premier vœu. Un – très contesté – tirage au sort intervient en dernier recours. Les étudiants en réorientation passent après les néobacheliers. Voilà pour les critères utilisés, au moins officiellement, que l’association Droits des lycéens va pouvoir vérifier en décryptant le code source.

Problème : cette règle de priorités et ce tirage au sort, opérés par un logiciel qui n’était pas prévu pour cela au départ, obligent les élèves à être stratèges dans leurs choix de vœux. Pire : ils semblent bien « bancals » juridiquement. C’est en tout cas ce qu’estime Jean Merlet-Bonnan, l’avocat de Droits des lycéens. Et trois récentes décisions de tribunaux administratifs lui donnent en partie raison. La première, intervenue à la fin du mois de juin à Bordeaux, jugeait sans fondement légal la procédure de tirage au sort. Les deux autres, en juillet à Paris et en septembre à Nantes, faisaient état d’un « doute sérieux » quant à la légalité de refus d’inscriptions d’étudiants en réorientation. Ces recours et décisions administratives sont-ils amenés à se multiplier ? On peut le penser. L’association Droits des lycéens aurait été contactée par « plus de 250 personnes » depuis la publication en juin d’un « guide des recours ».

« Ambiguïté » légale

Cette insécurité juridique encadrant le « tri » opéré par APB était rappelée en avril par un rapport d’inspection émanant du ministère lui-même. Concrètement, la loi sur l’enseignement supérieur de 1984, qui évoque les filières universitaires à capacité d’accueil limitée, prévoyait de définir, a posteriori, dans une « réglementation », les modalités d’application des critères de priorités. Texte réglementaire qui n’a jamais vu le jour, tant le pouvoir politique a toujours voulu éviter de donner un caractère officiel à une sélection en théorie proscrite en France, et à l’assumer ensuite. Les observateurs de l’université font le parallèle avec la sélection en master, pour laquelle il aura fallu deux ans de recours pour qu’un décret la légalise finalement en février 2016.

Face à l’explosion du nombre d’étudiants dans le supérieur, et donc à la multiplication des filières en tension – et de la sélection qui va avec, les présidents d’universités réclament depuis plusieurs années la mise en place de « prérequis » à l’entrée en licence (niveau minimum en langue, option suivie en terminale, etc.). Une idée rejetée par des syndicats étudiants attachés au libre accès à la fac, mais reprise en juillet par l’économiste Thomas Piketty dans une tribune contre « l’opacité » d’APB.

Pour l’instant, on en est loin. Interrogée par Le Monde, la rue de Grenelle concède une « ambiguïté » légale. Elle devrait être levée, promet le ministère, « avant l’ouverture de la prochaine session APB » en janvier 2017, par la publication d’une circulaire, « réglementation qui permettra d’être conforme à la loi ». Pas sûr que cela suffise à calmer les mécontents d’APB et à assurer juridiquement son fonctionnement sur le long terme.

« Il ne faut pas oublier qu’APB n’est qu’un outil technique », rappelle l’économiste Julien Grenet, spécialiste des algorithmes de répartition scolaire. Un outil « très bien conçu » normalement « au service d’une politique éducative ». Et de conclure que son fonctionnement « devenu absurde », comme ses bases juridiques fragiles, met avant tout en lumière « le refus de trancher certains débats, de faire des choix politiques » sur l’accès à l’université française.