Guerre des prix et des exclusivités dans le streaming
Guerre des prix et des exclusivités dans le streaming
LE MONDE ECONOMIE
Tous les acteurs du streaming perdent massivement de l’argent. Pourtant, l’avenir de l’industrie musicale repose sur la généralisation de l’écoute en ligne
Frank Ocean aux Grammy Awards, à Los Angeles en 2013. Le 17e album de l’artiste est sorti directement en ligne sur Apple Music en août dernier. | JOHN SHEARER/INVISION/AP
L’industrie musicale vit une révolution paradoxale. Plombée par douze années de décroissance et de crises, accompagnées par une baisse continue de ses effectifs (d’environ un tiers) et une forte concentration du secteur, avec le passage de six à trois majors sur la période, elle est aujourd’hui sur le point de récolter les fruits de sa mutation numérique.
En 2016, tous les principaux marchés devraient recouvrer le vert. Ils sont portés, à des niveaux divers (les pays scandinaves en proue, le Japon en lanterne rouge et la France au milieu), par la vague du streaming (l’écoute en ligne) qui devient le mode de consommation courant de la musique.
Spotify, Deezer, Apple Music sont en perte
Pourtant, aucun des grands acteurs de streaming ne gagne encore de l’argent. Que ce soit le numéro un du secteur, Spotify dirigé par le gourou suédois Daniel Ek, les départements musicaux des GAFA (Apple Music et Google Play Music), le petit poucet français Deezer, mais aussi les Pandora Soundcloud et autres Tidal. Pis, tous en perdent massivement, car ces jeunes entreprises sont très consommatrices de fonds et ont besoin que le pactole coule à flots pour se développer.
Jeudi 15 septembre, la presse américaine a ainsi rendu compte des pertes abyssales de Tidal, le service de streaming haut de gamme relancé en grand par la star du rap américain Jay Z, en janvier 2015 : 56 millions de dollars (50 millions d’euros) sur deux ans, malgré une progression des revenus de 30 %.
La société, présente dans une trentaine de pays revendique 4,2 millions d’abonnés. Alors que courent régulièrement sur son compte des rumeurs de rachat par Apple, la marque à la pomme a mis fin au suspens en démentant être intéressée.
Moitié prix du modèle dominant
Pour l’heure, l’offensive se porte sur les prix aux Etats-Unis, premier marché mondial de la musique. Pandora, acteur peu connu en France qui fonctionne comme une radio, et Amazon, nouvel entrant dans le secteur musical, ont annoncé la semaine dernière vouloir lancer une offre de musique en ligne à 5 dollars par mois. Soit moitié prix du modèle dominant jusqu’à présent : 9,99 dollars par mois pour un accès illimité et sans publicité à près de 40 millions de titres.
Baptisée Pandora Plus, cette offre conserve le principe des radios personnalisées : l’auditeur n’est pas libre d’écouter le morceau de son choix, mais peut zapper les chansons de manière illimitée ou – c’est nouveau – télécharger des titres pour les écouter sans être connecté à Internet.
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Convertir les utilisateurs gratuits en abonnés payants
L’enjeu pour la Web radio californienne en perte de vitesse est de convertir une partie de ses 75 millions d’utilisateurs gratuits en abonnés payants. Pandora, qui a signé des accords avec les trois maisons de disques (Universal, Sony et Warner), entend aussi se développer à l’international.
Amazon a l’intention, quant à elle, de commercialiser avant Noël, aux Etats-Unis, un service d’écoute illimitée de musique, à 10 dollars par mois, ramené à 5 dollars dès lors que l’usager utilise Echo, une enceinte dotée d’un assistant personnel avec commande vocale lancée par la société de Jeff Bezos, fin 2014, et qui peine jusqu’à présent à trouver son public.
Les pure players au défi
L’arrivée d’un troisième GAFA (Google, Apple, Facebook Amazon) dans la musique n’est pas forcément une bonne nouvelle pour les pure players que sont Spotify, Deezer ou Soundloud, ni pour les producteurs de musique.
Pour Apple, devenu avec 17 millions d’abonnés, le 2e acteur mondial du streaming en à peine dix-huit mois – un record –, tout comme pour Google ou bientôt pour Amazon, la musique constitue en effet un simple produit d’appel, comme les bouteilles d’eau pour la grande distribution.
Ne communiquant pas leurs chiffres et disposant d’autres sources de revenus, elles ont les moyens de perdre de l’argent, en attendant une attrition du marché, provoquée par le décès inéluctable de concurrents plus faibles.
La tempête des exclus
Outre-Atlantique, la bataille du streaming a été aussi relancée par la guerre des exclusivités. Cette pratique par laquelle un nouvel album est dans un premier temps, commercialisé sur une seule plate-forme, s’est fortement développée aux Etats-Unis. Elle a été inaugurée par Tidal et Apple Music qui cherchent ainsi à rattraper leur retard sur Spotify et ses 100 milions d’utilisateurs dont 40 millions d’abonnés payants.
A la fin du mois d’août, la star du rap américain Frank Ocean a provoqué une véritable tempête, en sortant directement et en exclusivité son nouvel album sur Apple Music. « C’est la première fois dans l’histoire de la musique qu’une major se fait désintermédier par un artiste », explique une des pointures du marché. Et en plus, l’opération a marché.
Cela a provoqué une colère noire de Lucian Grainge, le patron d’Universal Music, leader mondial du secteur et filiale de Vivendi qui a décrété vouloir arrêter le système des exclusivités.
Car c’est au moment même où Universal engrange des revenus de 28 millions de dollars par semaine, grâce au plein régime du streaming, que la major du disque, comme ses principales rivales, voit en quelque sorte le tapis se dérober sous ses pieds.
Le public, le vrai découvreur de talents
Dans un entretien accordé, lundi 19 septembre, au Figaro, Olivier Nusse, patron d’Universal France a beau dire que « son cœur de métier est immuable : découvrir des talents et les accompagner tout au long de leur carrière », aujourd’hui, les paradigmes sont de nouveau en train de changer : de fait les maisons de disque découvrent de moins en moins d’artistes. Le public les repère avant elles et a maintenant les moyens de le faire savoir.