Les actionnaires salariés d’Areva ont-ils été abusés ?
Les actionnaires salariés d’Areva ont-ils été abusés ?
Par Jean-Michel Bezat
Les salariés d’Areva accusent leur direction de les avoir incité à acheter des titres de l’entreprise sans les informer sur sa situation réelle
Le siège d’Areva, dans le quartier d’affaires de La Défense, à Courbevoie, le 2 mars 2016. | © Jacky Naegelen / Reuters / REUTERS
Les dirigeants d’Areva ont-ils dissimulé aux salariés la situation réelle de l’entreprise au printemps 2013 alors qu’ils les incitaient fortement à souscrire au plan d’actionnariat salarié ? C’est le doute – voire la certitude – qu’ont un certain nombre d’entre eux, soutenus par la CFE-CGC.
Enquête préliminaire ouverte
Des centaines de plaintes ont été déposées depuis 2015 pour « délit de fausse information » et « tromperie ». Dans son édition du lundi 19 septembre, Le Parisien indique que le parquet national financier a ouvert une enquête préliminaire avant l’été, une information confirmée par Areva. Après analyse du dossier, la justice peut classer l’affaire sans suite ou la renvoyer devant le tribunal correctionnel.
Début 2013, les dirigeants d’Areva avaient ouvert 2,5 % du capital aux salariés. L’action leur était proposée à 11,77 euros, avec un abondement incitatif de l’entreprise. A la clôture de l’opération, près d’un tiers (14 600 personnes) des effectifs du groupe avait souscrit au plan, pour un montant pouvant atteindre 30 000 euros. Ces « Areva » cherchaient certes à dégager une plus-value, mais aussi à soutenir leur société.
Les premiers mois, l’affaire pouvait sembler intéressante puisque le titre avait grimpé jusqu’à 21 euros au début de 2014 à la Bourse de Paris. Il ne valait plus que 6,30 euros lundi, après être tombé à 3 euros il y a quelques mois. Selon Me Cyril Cambon, l’avocat qui centralise les plaintes, près de 300 salariés, ex-salariés et retraités d’Areva ont porté plainte.
La direction, dénoncent-ils, les poussait à prendre du Areva sans les informer de la situation réelle de la société. Les salariés s’étonnent que des informations aient commencé à filtrer sur la dégradation de la situation financière du groupe dès l’été 2013, quelques semaines seulement après la fin de la période de souscription.
Avertissements des syndicats
Certains syndicats avaient néanmoins dissuadé les salariés d’acheter des actions de leur entreprise.
« Dans un tract, nous les avions prévenus qu’investir dans une industrie très capitalistique et à cycle long comme le nucléaire n’était pas intéressant pour un petit actionnaire, d’autant qu’avec 2,5 % du capital, ils n’auraient pas d’influence dans la gouvernance », se souvient Jean-Pierre Bachmann, coordinateur CFDT au sein d’Areva.
aux obligations légales en termes
de communication financière »
Chez Areva, on estime s’être « conformé aux obligations légales en termes de communication financière » et avoir informé les salariés sur les risques inhérents aux opérations de ce genre. Pour l’heure, rien ne permet de dire précisément si ces salariés ont été sciemment abusés. En revanche, il ne fait guère de doute que ses dirigeants pêchaient à l’époque par excès d’optimisme.
Depuis sa nomination à la présidence du directoire en juin 2011 en remplacement d’Anne Lauvergeon, Luc Oursel se disait à l’époque convaincu d’un rebond post-Fukushima : carnet de commandes bien rempli, croissance du chiffre d’affaires de 5,3 %, « très forte progression de l’excédent brut d’exploitation », « très nette amélioration du cash flow opérationnel libre » et « retour à un résultat opérationnel publié positif »…
Chantiers de l’EPR
« Un an après le lancement de notre plan stratégique Action 2016, notait-il en février 2013, les premiers résultats sont là. […] Notre groupe a su retrouver une dynamique de performance vertueuse. » Même ton à la présentation des résultats 2013, où le patron d’Areva se faisait encore fort de vendre dix réacteurs de troisième génération EPR à l’horizon 2016.
Tout le monde savait pourtant que la société était lestée d’un lourd passif, notamment le chantier de l’EPR finlandais d’Olkiluoto, et que les perspectives du marché nucléaire n’étaient pas aussi florissantes.
En interne, l’optimisme du président du directoire était vivement contesté par Pierre Blayau, nommé président du conseil de surveillance en juin 2013, qui avait alerté à plusieurs reprises l’Etat sur l’état des comptes.
La quasi-faillite annoncée en 2014
Il faudra attendre la publication des résultats 2014 pour que la vérité éclate : avec une perte de 4,8 milliards d’euros, Areva est dans une situation de quasi-faillite.
Nommé président du conseil d’administration quelques mois plus tôt après un changement de mode de gouvernance et le décès brutal de M. Oursel, Philippe Varin se félicite de la mise en place d’« un plan de transformation à la hauteur des enjeux ». Un plan qui deviendra vite un démantèlement du groupe créé en 2001.
Recentré sur le cycle du combustible (extraction de l’uranium, enrichissement, retraitement des déchets, démantèlement des centrales), il a cédé ou va vendre toutes ses autres activités : l’éolien maritime à la coentreprise germano-espagnole Siemens-Gamesa, la fabrication et l’entretien des réacteurs (EPR, Atmea) à EDF, sa filiale d’instrument de mesure de la radioactivité à l’américain Mirion Technologies, les chaudières des sous-marins à propulsion nucléaire Areva TA à l’Etat…
Il est aussi en train de supprimer quelque 6 000 emplois dans le monde (dont 2 700 en France) et va réaliser une augmentation de capital de 5 milliards d’euros, dont une grande partie sera souscrite par l’Etat.