Les développeurs, rois du marché de l’emploi en France
Les développeurs, rois du marché de l’emploi en France
Par Marine Miller
Selon une étude exclusive de LinkedIn pour « Le Monde Campus », les diplômés en informatique sont les profils les plus recherchés par les recruteurs, parfois avant même leur sortie de l’école.
Les « King Coders », ces développeurs de génie que les entreprises de la Silicon Valley s’arrachent à prix d’or pour rester compétitives, ont de beaux jours devant eux. Qu’ils soient développeurs (logiciels et web), ingénieurs SI (système d’information) ou ingénieurs commerciaux, les profils de ceux qui savent coder, développer, programmer et vendre trustent les premières places du Top 20 des métiers les plus recherchés sur LinkedIn.
Dans une étude réalisée pour la première fois pour « Le Monde Campus », le réseau social professionnel a observé les données de ses douze millions d’utilisateurs français, et six millions d’offres d’emploi, afin de repérer les tendances des métiers les plus recherchés et des profils les plus représentés sur sa plateforme. « C’est la première fois que nous dressons une cartographie des besoins à l’échelle d’un pays. Nous l’avions déjà fait à l’échelle de la ville de Manchester. Là, nous avons observé toutes les offres d’emplois en France, le volume d’activité des communications des membres et les profils renseignés », explique Laurence Bret Stern, directrice marketing de LinkedIn. En résulte deux « Top 20 » qui confirment l’une des spécificités du marché de l’emploi français : l’inadéquation entre l’offre et la demande, sauf pour les développeurs (logiciels) qui semblent avoir bien saisi le niveau de leur attractivité sur le réseau social.
Top 20 des métiers et des profils
220 000 emplois d’ici à 2022
Ces besoins dans les métiers de l’informatique sont récurrents. Depuis plusieurs années déjà, les rapports s’accumulent sur la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur. L’organisme d’étude et de recherche du gouvernement France Stratégie, dans son exercice de prospective sur les métiers en 2022, avait calculé l’an passé que « les ingénieurs et cadres techniques de l’industrie, les personnels d’études et de recherche et les ingénieurs de l’informatique pourraient offrir au total 220 000 emplois supplémentaires, soit un taux de création nette de 2 % par an en moyenne ».
Mais la croissance du secteur n’explique pas seule l’attractivité des professionnels du numérique. Jusqu’à récemment, écoles et universités ne formaient pas assez d’étudiants, si bien que pendant longtemps, les cracks de l’informatique avaient la réputation d’être des autodidactes. « Avec l’arrivée d’Internet dans les années 1990, une génération de cow-boys du code qui maîtrisaient les langages informatiques a donné le ton de la culture web », analyse Matthieu Deboeuf-Rouchon, responsable du programme Devschool (Pôle universitaire de Vinci), une nouvelle école de développeurs qui, fidèle à l’esprit « codeur », forme en un an des jeunes issus de tous horizons. « Une école de la deuxième chance pour ceux qui ne sont pas des stars académiques mais qui aiment l’informatique », précise le directeur.
Retour sur investissement fulgurant
L’ampleur de la demande est telle que les jeunes diplômés qui exercent d’autres métiers, comme les graphistes (en 7e position du Top 20), n’hésitent plus à se former au développement. Charles Abédie, 24 ans, « graphiste print », est ainsi devenu « Designer UX » (pour user’s experience). « J’ai pris goût à l’intégration web, c’est la suite logique de mon métier. En France, il y a encore peu de profils de designer intégrateur, alors je me suis inspiré de ce qui se fait aux Etats-Unis. » Le jeune homme, désormais consultant d’une start-up en conseil digital, a été embauché en CDI à la suite de son contrat de professionnalisation, et ne semble pas inquiet pour la suite de sa carrière.
Pour les jeunes qui s’engagent plus classiquement dans des études d’ingénieur et se spécialisent en informatique, le retour sur investissement est non moins fulgurant. L’enquête annuelle sur les diplômés des grandes écoles (CGE) montre que la dernière promotion d’ingénieurs a été plus rapide à s’insérer et les emplois obtenus mieux valorisés que les deux années précédentes.
Evolution des principaux indicateurs de l’insertion des jeunes diplômés (CGE). | CGE
« Oui, les jeunes diplômés en informatique s’insèrent bien, mais au même titre que ceux qui ont fait de la chimie, des géoressources ou des biotechnologies », nuance François Cansell, le directeur de la conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs. « Néanmoins, on ne pourra pas vivre que d’emplois dans le secteur tertiaire », souligne-t-il, tout en reconnaissant « que les écoles d’ingénieurs ont dû s’adapter au numérique en généralisant les cours de big data et de cybersécurité dans toutes les disciplines, de la chimie à l’agroalimentaire ».
Agnès Pagnon, directrice du programme ingénieur d’affaires (l’ingénieur commercial-sales engineer-Top 4 du classement) de Kedge Business School, confirme : « Les entreprises ont besoin de salariés qui maîtrisent une technique, mais qui ont aussi une connaissance des enjeux de transformation digitale qui sont à l’œuvre dans tous les domaines. »
De la technique et de la personnalité
Chez Microsoft France, qui recrute environ 30 ingénieurs débutants par an, l’ingénieur « commercial » (4e place du Top 20) doit faire preuve de « créativité et d’esprit analytique tout en étant parfaitement imprégné de la culture de l’informatique », explique Caroline Bloch, DRH. Elle préfère choisir « des jeunes avec un potentiel et des aptitudes, puis les former et les immerger dans la culture de l’entreprise ». Les compétences techniques évoluent très vite : « La clé, c’est d’avoir des gens passionnés, agiles et créatifs. » Évidemment, ces jeunes gens « créatifs » affichent un diplôme dans une (grande) école prestigieuse.
Même discours chez Google France. « Nous leur demandons de coder pendant l’entretien pour vérifier leurs compétences techniques, et nous testons leur capacité à communiquer dans un contexte d’interculturalité », explique Vincent Simonet, responsable de la recherche et du développement. Une précaution nécessaire, étant donné la diversité des nationalités des salariés de Google. Si le processus de recrutement permet de vérifier « le cheminement du raisonnement » de l’ingénieur, il lui faudra aussi cocher la case de la « Googlitude », comme l’affiche le site de recrutement de Google France. Décodage : « Etre à l’aise avec l’ambiguïté, être de nature entreprenante et avoir un esprit de collaboration. »
Les grandes entreprises affichent un discours qui valorise les qualités personnelles, dessinant le portrait-robot d’une génération de jeunes diplômés « souples, adaptables, agiles, à l’aise ». Reste à être sélectionné avant de convaincre les recruteurs qui, aidés par des robots algorithmes, filtrent et trient une bonne partie des candidatures adressées aux grands groupes…
Les compétences les plus attendues des recruteurs, selon l’étude Revolution des métiers.
Pour être repéré, LinkedIn recommande de bien réfléchir « aux intitulés de postes et de métier ». « Ce qui peut faire la différence, c’est la manière avec laquelle on se présente : l’intitulé de son métier, les compétences qu’on revendique, mais aussi de plus en plus ses réalisations personnelles », conclut Laurence Bret Stern. Le nom du diplôme ou de l’école pourrait être à l’avenir être moins important qu’une capacité à être le commercial de soi-même ou, comme le résume l’un des fondateurs de LinkedIn, « Be the start-up of you ».