Comment nous tuons les bêtes
Comment nous tuons les bêtes
Editorial. Instaurer une vidéosurveillance obligatoire dans les abattoirs... Le moins que l’on puisse exiger est en effet que l’abattage ne se fasse pas à l’abri des regards.
A Karlstad, Suede. L'abattoir mobile Etiskt Kott achète la viande aux fermiers. Ici à la ferme de Johansson, 90 bovins seront vendus. L'abattoir et ses quatre vehicules stationnent dans la ferme, à proximité des animaux et de l'éleveur. Un bureau, un laboratoire de transformation, et deux camions frigoriques resteront prêt d'une semaine dans la ferme. | ANNA MOREAU
Editorial. Ce sont des images insoutenables qui ont jeté l’opprobre sur le milieu des abattoirs. Celle d’un veau, dans l’établissement du Mercantour (Alpes-Maritimes), accroché au rail par la patte arrière, qui tente de se relever pendant deux minutes, à moitié décapité, la tête dans un bac de sang. Celle, aussi, à Pézenas (Hérault), d’un mouton qui reçoit un coup de couteau dans l’œil avant d’être égorgé. Celles, encore, au Vigan (Gard), d’employés qui rient en électrocutant des cochons. Celles d’agneaux jetés contre un enclos.
A quatre reprises en huit mois, l’association de protection animale L214 a révélé des cas de maltraitance dans des abattoirs français. Ces vidéos, tournées en caméra cachée, ont ébranlé l’opinion. A juste titre. Il ne s’agit pas ici de débattre du bien-fondé de la consommation de viande, de son impact sur les animaux, l’environnement ou la santé – thèmes cruciaux déjà largement discutés. Il s’agit de faire respecter la loi.
Or la réglementation est très claire en la matière : le code rural français et le règlement européen de 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort énoncent que « toute douleur, détresse ou souffrance évitable [leur] est épargnée ». Les abattages conventionnels prévoient un étourdissement des bêtes – à l’aide d’une pince à électronarcose, d’un pistolet d’abattage ou de CO2 – et une deuxième tentative si la première échoue, afin de leur éviter d’être conscientes au moment de la mort. Des dérogations sont prévues pour l’abattage rituel, halal et casher, lors duquel des sacrificateurs égorgent – d’un seul geste – les bêtes en pleine conscience.
Des règles avec lesquelles les abattoirs incriminés étaient clairement en infraction. La plupart ont été fermés provisoirement et des enquêtes diligentées. Des plaintes de L214 sont en cours d’instruction. Le ministère de l’agriculture a mené une campagne d’inspection systématique des 263 abattoirs de boucherie : 107 avertissements ont été délivrés, 87 exploitants mis en demeure d’apporter des corrections et 3 établissements fermés.
Conclusions sévères
Le débat a gagné l’Assemblée nationale. En mars, elle a créé la première commission d’enquête parlementaire sur la question. Elle vient de rendre son rapport. Conclusions sévères : les inspections ont révélé, dans les « boîtes noires que constituent les abattoirs », de « nombreux dysfonctionnements souvent mineurs, parfois majeurs, auxquels il est indispensable de remédier ».
Les députés recommandent de rendre obligatoire la vidéosurveillance dans l’ensemble des endroits « critiques » des abattoirs, d’augmenter les effectifs des services vétérinaires, d’alourdir les sanctions en cas de non-respect des règles pour « mettre fin au sentiment de quasi-impunité de certains opérateurs ». Il s’agit de réduire autant que possible la souffrance animale lors de l’abattage.
L’animal est un sujet que la loi doit considérer comme tel, nous a appris la grande philosophe Elisabeth de Fontenay dans son magistral « Le Silence des bêtes, la philosophie à l’épreuve de l’animalité » (Fayard, 1998). Nous tuons des millions de ces sujets tous les ans, en France. Le moins que l’on puisse exiger est que cela ne se fasse pas à l’abri des regards, mais de façon connue de tous et dans les conditions fixées par la loi. Ce serait faire preuve d’un minimum d’humanité à l’adresse de l’animalité.