« Camarades Gabonais, M. Sarkozy a raison : n’attendez rien de la France, retournez au pays ! »
« Camarades Gabonais, M. Sarkozy a raison : n’attendez rien de la France, retournez au pays ! »
Par Yann Gwet (chroniqueur Le Monde Afrique)
Pour notre chroniqueur, les mots de l’ex-président étaient brutaux, mais ont le mérite de la franchise : c’est aux Gabonais de construire leur démocratie.
« Ici c’est la France, c’est pas le Gabon. Si vous voulez retourner au Gabon, allez-y ! » C’est par cette réplique toute sarkozyenne que l’ancien président français a répondu, mercredi 21 septembre, à un groupe de jeunes Gabonais venus perturber, aux cris de « Sarko, viens chercher Ali ! », un meeting de campagne du candidat des primaires de la droite qui se déroulait à Marcq-en-Barœul (Nord).
En 2009, Nicolas Sarkozy avait été le premier dirigeant occidental à reconnaître les résultats d’un scrutin pourtant contesté, et le premier à féliciter le vainqueur officiel, Ali Bongo, après les dirigeants libyen, camerounais et marocain.
Le moins que l’on puisse dire de cette poignée d’opposants gabonais est qu’ils sont bien « entrés dans l’Histoire », faisant écho à l’un des points les plus insultants pour les Africains du discours de Dakar de M. Sarkozy en 2007. Ils ont aussi certainement encore en mémoire cette réflexion exquise d’Omar Bongo : « Le Gabon sans la France, c’est comme une voiture sans chauffeur ; la France sans le Gabon, c’est une voiture sans carburant. »
Evidemment, cette présence gabonaise un peu bruyante à Marcq-en-Barœul n’était pas du goût des partisans de Nicolas Sarkozy, lesquels ont ponctué la délicatesse de leur idole « d’applaudissements nourris ». C’est que, les pauvres, eux ne sont malheureusement pas entrés dans l’Histoire françafricaine !
« J’ai pensé à de Gaulle, et j’ai eu honte »
Car leur champion a soigneusement omis de leur dire que les Gabonais présents à ce meeting n’étaient pas des trouble-fête, mais des financiers historiques de la démocratie française. Et que, à ce titre, ils méritaient un accueil d’une autre nature ! Souvenez-vous du récit fracassant de l’avocat français Robert Bourgi dans Le Journal du dimanche, en septembre 2011, intitulé « J’ai vu Chirac et Villepin compter les billets ». Celui que l’on considère comme l’héritier spirituel de Jacques Foccart, fondateur de la Françafrique, raconte les valises de billets remises à Jacques Chirac par des présidents africains, en particulier Omar Bongo et notamment pour la campagne de 2002. « Lors des grandes remises de fonds, j’étais attendu comme le Père Noël. En général, un déjeuner était organisé avec Jacques Chirac pour le donateur africain, et ensuite, la remise de fonds avait lieu dans le bureau du secrétaire général [Dominique de Villepin]. Une fois, j’étais en retard. [Omar] Bongo, qui m’appelait “fiston” et que j’appelais “papa”, m’avait demandé de passer à 14 h 45 (…). J’avais un gros sac de sport contenant l’argent et qui me faisait mal au dos tellement il était lourd. Bongo et Chirac étaient confortablement assis (…). Je les ai salués, et je suis allé placer le sac derrière le canapé. Tout le monde savait ce qu’il contenait. Ce jour-là, j’ai pensé au Général [de Gaulle], et j’ai eu honte. »
Mais il n’y a pas que les millions de dollars pour le RPR, puis l’UMP. Il y a aussi le pilotage, à Paris, de la politique gabonaise. A l’attention des « sarkozystes » de Marcq-en-Barœul, voici comment Jacques Foccart relate, dans ses Mémoires, un entretien avec Omar Bongo au cours d’une des visites de celui-ci à Paris, en 1968 : « Bongo vient comme prévu à 10 h 30 et il ne part que vers 18 heures. C’est dire que nous avons de très longues conversations, qui manifestement sont essentielles, car nous avons pu mettre au point beaucoup de choses sur la politique que le Gabon doit suivre. »
Le cadeau de la franchise
Vous me voyez venir : en venant interpeller un homme politique français de premier plan lors d’un meeting de campagne, ces jeunes Gabonais étaient bien dans l’esprit des relations historiques entre les deux pays. Ce qui ne les empêche pas d’avoir tort : ils n’ont pas perçu l’incohérence complète de leur démarche ! De fait, ils sont venus, au nom de la « démocratie », réclamer l’intervention d’un responsable français pour rétablir la victoire de leur champion, Jean Ping, dans ce qu’ils estiment être un vote truqué par le président sortant, Ali Bongo.
Chers camarades Gabonais, vassalité et démocratie sont antinomiques ! Soit vous voulez l’immixtion de la France dans les affaires gabonaises, soit vous voulez la démocratie. Car la démocratie s’accommode mal d’ingérences extérieures. Son cadre naturel, comme le disait de Gaulle, est la souveraineté nationale.
Le directeur de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed), M. Jean-Louis Guigou, expliquait récemment dans ces colonnes que « l’Afrique est une chance pour la France et pour l’Europe ». Je le crois aussi. Mais l’examen de la longue histoire des relations entre la France et l’Afrique ne permet pas de soutenir la réciproque. La première s’est rarement rangée au côté des peuples de la seconde. Mais est-ce bien sa vocation ? Et donc, amis Gabonais rabroués par M. Sarkozy, celui-ci ne s’est pas montré respectueux ni très subtil, mais il vous a au moins fait le cadeau de la franchise. Vous n’avez plus rien à attendre de la France ! Détournez-vous-en une fois pour toutes et contribuez au long, difficile, improbable, mais nécessaire combat pour la pleine maîtrise de votre destin. Et donc pour l’édification de la « démocratie » que vous appelez tant de vos vœux.
Yann Gwet est essayiste camerounais.