Palmer Luckey, « monsieur réalité virtuelle » et anomalie politique de la Silicon Valley
Palmer Luckey, « monsieur réalité virtuelle » et anomalie politique de la Silicon Valley
Par William Audureau
Le fondateur d’Oculus embarrasse ses partenaires depuis qu’il a été accusé de soutenir une association d’internautes harceleurs anti-Clinton.
Ecran d’accueil de Nimble America, le mouvement de soutien nationaliste et provocateur à Donald Trump. | Capture d'écran
« Ceux qui me connaissent d’avant que je ne rejoigne Oculus savent que je ne voudrais pas travailler à un endroit qui, selon moi, cautionnerait ou propagerait la haine. Ni que je resterais silencieux si je voyais ce phénomène apparaître. » Les récents propos sur Facebook de Jason Rubin, une des stars historiques du jeu vidéo américain recrutées par Oculus, le géant de la réalité virtuelle, sonnent comme un avertissement : dans l’univers très progressiste de la Silicon Valley, les prises de position de Palmer Luckey, le fondateur d’Oculus VR, ont suscité méfiance et irritation.
Proche de l’« alt-right »
A l’origine du malaise, les révélations, vendredi 23 septembre, du site américain The Daily Beast, qui accuse le milliardaire de 24 ans de soutenir financièrement une association politique baptisée « Nimble America », qui soutient Donald Trump. Apparu de nulle part en juin dernier, le groupe bénéficie du soutien de Milo Yiannopoulos, journaliste pro-Trump aux thèses provocatrices. Ce dernier est par ailleurs modérateur sur « The_Donald », partie du gigantesque forum anglophone Reddit où se réunissent les jeunes internautes favorables au controversé candidat républicain, et où Nimble America est venu faire un appel au don.
L’association, dans la présentation de ses activités, revendique notamment la puissance du « shitposting » (littéralement, « poster de la merde »), un usage des réseaux sociaux consistant à provoquer les autres utilisateurs, voire les harceler, sans se soucier des conséquences. Elle plébiscite par ailleurs la diffusion de mèmes – des images humoristiques – décrédibilisant sa concurrente dans la course à la Maison Blanche, Hillary Clinton, non sans flirter avec les codes de l’alt-right (droite alternative), un mouvement pro-Trump d’extrême droite dont se revendique Milo Yiannopoulos.
Mi-septembre, M. Yiannopoulos a exhorté les membres du forum The_Donald à soutenir financièrement Nimble America, promettant que chaque don sera doublé par celui d’un ami milliardaire surnommé NimbleRichMan. Selon The Daily Best, il s’agirait de Palmer Luckey en personne – à la grande stupeur des utilisateurs d’Oculus Rift, le casque de réalité virtuelle dont il est l’initiateur.
« Des idées fraîches »
« Je suis profondément désolé que mes actions aient des répercussions négatives sur la perception d’Oculus et de ses partenaires », s’est aussitôt excusé Palmer Luckey sur Facebook. Le fondateur d’Oculus nie être NimbleRichMan et avoir participé à l’activité du groupe. Il se présente comme partisan du libertarianisme (mouvement américain sacralisant les libertés individuelles et prônant la réduction du rôle de l’Etat) et annonce vouloir voter pour Gary Johnson, le candidat de ce courant politique à la présidentielle.
Si le libertarianisme n’est pas rare en Californie, où les géants du Web prônent volontiers le « moins d’Etat », c’est son soutien supposé à un groupe proche de l’extrême droite sur l’échiquier américain qui pose problème. Palmer Luckey reconnaît avoir soutenu financièrement l’association Nimble America, ce dont il se justifie en des termes ambigus :
« J’ai donné 10 000 dollars à Nimble America parce que je trouve que l’organisation a des idées fraîches quant à la manière de communiquer avec de jeunes votants à travers l’utilisation de plusieurs forums. »
Palmer Luckey semble par ailleurs sensible aux discours où se mêlent humour, théories du complot, anti-immigration, islamophobie et attaques personnelles contre Hillary Clinton, comme le révèle son activité sur Twitter, que le site Motherboard a analysée.
La réalité virtuelle pour les pauvres
Qui donc est le « M. Réalité virtuelle » de Facebook, dont le profil politique et l’engagement jurent dans une Silicon Valley de longue date acquise au parti démocrate et au multiculturalisme ? Mark Zuckerberg, dont la société a racheté Oculus en 2014, s’était tacitement engagé contre Trump en déclarant, fin 2015, que les Musulmans étaient « bienvenus et qu’[il] se battrait pour leurs droits ».
Le journaliste James Wagner s’est rappelé, sur son blog, de sa rencontre avec Palmer Luckey et d’un passage sur sa vision de la société qui avait été coupé du long article qu’il lui avait consacré sur Wired en février. Sa question portait sur son intérêt pour la réalité virtuelle, et sa réponse frappait par sa candeur :
« C’est un de ces thèmes d’hommes fous, mais on peut le résumer ainsi : tout le monde veut une vie heureuse, mais il sera bientôt impossible de donner à tout le monde tout ce qu’ils veulent. […] C’est facile pour nous, qui vivons dans le super Etat de la Californie, que la VR n’est pas aussi bien que le vrai monde, mais beaucoup de personnes à travers la planète n’ont pas une vie réelle aussi agréable que la nôtre. […] Si vous parlez de travailleurs chinois ou d’habitants de l’Afrique, je pense que le seuil est beaucoup plus bas… Il est possible que de nombreux premiers acheteurs [de casques de VR] soient des gens qui ont de bonnes raisons de fuir le monde réel. »
Suite aux multiples interrogations soulevées par les opinions et les actions politiques de Palmer Luckey, l’actuel président d’Oculus, Brendan Iribe, a tenu à tracer une ligne claire entre ce qui relève des choix personnels de son collègue et ce qui relève de son entreprise :
« Chacun chez Oculus est libre de soutenir les causes qui lui semblent importantes, que l’on soit d’accord ou non avec elles. Il est important de rappeler que Palmer a agi indépendamment, à titre personnel, et à aucun moment il ne représentait la société. »