« Chemise arrachée » d’Air France : le procès d’une « transe collective »
« Chemise arrachée » d’Air France : le procès d’une « transe collective »
Par Pascale Robert-Diard
Quinze militants syndicaux étaient jugé mardi pour les incidents qui avaient interrompu un comité central d’entreprise à Roissy, le 5 octobre 2015.
Les images de ces deux hommes, visages hagards et torses dénudés, tentant d’échapper à une meute en colère ont fait le tour du monde. C’était le 5 octobre 2015, au siège de la compagnie Air France à Roissy, où des centaines de manifestants réunis à l’appel des organisations syndicales pour protester contre un plan massif de suppression d’emplois, étaient entrées en force dans la salle où se tenait un comité central de l’entreprise.
Exfiltrés, les deux directeurs des ressources humaines, Pierre Plissonnier et Xavier Roseta s’étaient échappés en escaladant une grille. Saisies sous tous les angles par des caméras de télévision et des téléphones portables, ces images ont été diffusées et rediffusées ad nauseam mardi 27 septembre devant le tribunal correctionnel de Bobigny (Seine-Saint-Denis), qui juge quinze militants syndicaux pour « dégradations » et « violences en réunion ».
Les premiers faits sont établis et non contestés : ce matin-là, une dizaine de manifestants aux visages clairement identifiables secouent une grille qui ferme l’accès au siège de l’entreprise, les gonds cèdent et la foule s’engouffre.
Les seconds ont occupé la majeure partie des débats, aucun des cinq prévenus ne voulant porter la responsabilité pénale ni surtout assumer la lourde charge morale de cette scène de « transe collective » selon les mots d’un témoin, qui s’est abattue pendant de longues minutes sur les deux DRH, poursuivis sous les insultes dans une première salle, puis dans une seconde, avant d’être coincés le long de la grille, chemises arrachées, s’abritant comme ils le pouvaient des coups frappés dans leur dos.
Le procès de la « chemise arrachée » d’Air France s’ouvre à Bobigny
Durée : 01:44
Images :
AFP
« J’ai touché le col, c’est tout »
« J’ai touché le col, c’est tout, pour qu’il se retourne et pour lui parler », dit l’un, mis en cause par le témoignage d’un agent de sécurité, tandis qu’un autre, confronté à une capture d’image, admet seulement que sa main « est partie dans cette direction », pour protéger et pas pour frapper, assure-t-il.
A cette audience boursouflée et désordonnée, qui se tenait sous haute surveillance policière – des grappes de CRS veillaient dehors sur la manifestation de soutien organisée par les syndicats, d’autres filtraient l’entrée du public tout acquis aux prévenus – Pierre Plissonnier et Xavier Roseta ont offert le seul moment de dignité. Avec les mêmes mots retenus, ils ont évoqué les sentiments d’« humiliation » et de « dégradation » ressentis après la diffusion de ces images – « 1,7 milliard de vues dans le monde », a précisé Pierre Plissonnier. « C’était une forme de lynchage », dit-il.
Mais lorsque l’une des juges assesseures lui demande s’il s’est « vu mourir », la réponse tombe, nette : « Non, sincèrement non. » Xavier Roseta élude avec la même pudeur la question qui lui est posée sur le retentissement de ces quelques minutes de violence sur sa vie : « Le temps a fait son œuvre », souffle-t-il.
Aucun des deux hommes n’a désigné ses agresseurs et ils n’entendent pas davantage le faire à l’audience. « J’ai été épaulé par des vigiles et sans doute aussi par des manifestants », indique Pierre Plissonnier. Aux images de foule haineuse se substituait soudain celle de deux hommes debout et sans vindicte.
Réquisitoire et plaidoiries mercredi 28 septembre.