Le gaz de schiste américain débarque au Royaume-Uni
Le gaz de schiste américain débarque au Royaume-Uni
LE MONDE ECONOMIE
La société pétrochimique Ineos a reçu sa première cargaison venant des Etats-Unis.
L’Ecosse a beau avoir mis en place, depuis janvier 2015, un moratoire sur l’exploitation du gaz de schiste, cela n’a pas empêché ce dernier, à haute teneur polémique, d’arriver au Royaume-Uni. Mardi 27 septembre, l’entreprise pétrochimique Ineos a importé sa toute première cargaison venant des Etats-Unis. Un peu avant midi, le méthanier JS-Ineos-Insight a terminé sa traversée de l’Atlantique, avec ses 27 500 mètres cubes d’éthane. S’il n’a pas pu accoster à son usine de Grangemouth, à 40 kilomètres à l’ouest d’Edimbourg, à cause de forts vents (malgré les politiques et journalistes qui l’attendaient), ce n’est qu’une question de jours. Il s’agit de la première importation de gaz de schiste au Royaume-Uni.
« C’est un premier transport capital », affirme, au Monde, Jim Ratcliffe, le patron et fondateur d’Ineos. Sa raffinerie de Grangemouth, qui transforme l’éthane en éthylène (pour en faire ensuite des plastiques), tourne à mi-régime depuis 2008. La matière première manquait : il n’y a plus assez d’éthane en mer du Nord, du côté britannique.
Il y a trois ans, face à de grandes grèves à Grangemouth, M. Ratcliffe, réputé pour être très dur en affaires, a passé un accord avec ses employés.
Il y a trois ans, face à des grèves à Grangemouth, Jim Ratcliffe, réputé pour être dur en affaires, a passé un accord avec ses employés. En échange d’un gel de leur salaire, d’une réduction de leur retraite et d’une promesse de ne pas faire grève pendant trois ans, M. Ratcliffes’est lancé le pari d’importer de l’éthane issu du gaz de schiste américain. Investissement : 2 milliards de dollars (1,8 milliard d’euros). « Sinon, Grangemouth aurait fermé. »
Construction de nouveaux bateaux
Depuis des années, M. Ratcliffe lorgnait la révolution du gaz de schiste américain. Lui qui possède des usines pétrochimiques en Europe et aux Etats-Unis voyait l’immense différence : le prix de l’énergie américaine s’effondrait, tandis qu’il augmentait sur le Vieux Continent.
Au même moment, les Etats-Unis débordaient de gaz de schiste et l’idée d’en exporter commençait à émerger. Restait à mettre en place le processus, alors que tout le réseau de pipelines américain était tourné vers l’importation. Il a fallu inverser les flux, connecter les nouvelles exploitations au réseau existant, modifier l’équipement des ports. Ineos a signé un accord d’approvisionnement avec le gisement Marcellus Shale, en Pennsylvanie, qui contient une forte teneur en éthane.
La traversée de l’Atlantique a également nécessité la construction de nouveaux bateaux. Jusqu’à présent, l’éthane était transporté par de petits navires sur des distances plutôt courtes. Ineos a fait construire une flotte de quatre méthaniers, qui sera étendue à huit d’ici à 2020. Enfin, près de la raffinerie, d’énormes réservoirs d’éthane ont dû être installés pour recevoir les cargaisons. Jusqu’alors, les livraisons, plus petites et régulières, ne nécessitaient pas un tel stockage.
En mars, la première importation de gaz de schiste en Europe a eu lieu. Un méthanier d’Ineos est arrivé à Rafnes, en Norvège, où l’entreprise possède un autre complexe pétrochimique. Grangemouth était l’étape suivante.
« Fermiers millionnaires »
M. Ratcliffe n’entend pas en rester là : plutôt que d’importer du gaz de schiste, il rêve d’en exploiter au Royaume-Uni. D’importants gisements se trouveraient dans le sous-sol britannique. En 2014, Ineos a lancé une grande offensive, en achetant de nombreuses licences d’exploration et en engageant un processus de consultations publiques avec les communautés locales. Sa grande promesse : leur verser 6 % des revenus des puits, dont les deux tiers aux propriétaires des terrains forés. M. Ratcliffe fait miroiter la possibilité de créer des « fermiers millionnaires ».
Mais ses progrès sont lents. Il n’a pas encore déposé sa première demande d’autorisation d’exploration (obtenir le feu vert des collectivités locales est nécessaire) et accuse déjà plus d’un an de retard sur son calendrier initial.
« Nous allons en poser une cinquantaine d’ici à la fin de l’année », promet-il.
Le gaz de schiste a transformé l’économie américaine
Si le gouvernement britannique soutient de toutes ses forces l’industrie pétrolière, les populations locales opposent une vive résistance. Depuis 2011, aucune exploration de gaz de schiste n’est en cours au Royaume-Uni. Des mairies ont rejeté les demandes de forage. En mai, une ville a donné son feu vert à un projet, mais cette décision fait l’objet d’un appel devant les tribunaux. En Ecosse, le gouvernement a choisi d’imposer un moratoire, en attendant d’y voir plus clair sur les risques écologiques. Lundi 26 septembre, le Parti travailliste a annoncé qu’il souhaitait interdire l’exploitation du gaz de schiste s’il revenait au pouvoir.
Que répond M. Ratcliffe à ces inquiétudes ?
« Je ne comprends pas. Le gaz de schiste a transformé l’économie américaine. Et ce n’est pas une nouvelle science. Un million de puits ont été creusés aux Etats-Unis. Ils ne le feraient pas si c’était dangereux ou mauvais pour l’environnement. »
Il reconnaît bien que la technologie a connu « quelques problèmes à ses débuts », mais affirme que celle-ci est désormais bien maîtrisée.
L’association Friends of the Earth rejette cet argument, en rappelant que la fracturation hydraulique nécessite d’injecter, à très forte pression, d’énormes quantités d’eau mélangée à des produits chimiques, « qui peuvent contaminer le sol et les nappes phréatiques ». Au-delà, elle estime que l’exploitation de réserves d’hydrocarbures supplémentaires est contraire à la promesse du Royaume-Uni de lutter contre le réchauffement climatique. En attendant de résoudre ce conflit, Ineos continuera à importer cette ressource des Etats-Unis.