Réintégrer les grévistes de 1948, geste de François Hollande vers un « peuple de gauche »
Réintégrer les grévistes de 1948, geste de François Hollande vers un « peuple de gauche »
Propos recueillis par Adrien Pécout
Jean-Luc Raynaud est invité ce mercredi à l’Elysée pour projeter des extraits de son documentaire, « L’Honneur des gueules noires ».
Le président de la République, Francois Hollande, le 8 septembre 2016, au palais de l’Elysée. | BERTRAND GUAY / AFP
Il aura fallu attendre près de sept décennies. Réprimés malgré leur droit de grève, les mineurs nordistes de 1948 ont déjà obtenu une première réparation sur le plan juridique en 2014, pour licenciements abusifs. Mercredi 28 septembre, deux ans plus tard, François Hollande poursuit leur réhabilitation.
A l’Elysée, en début d’après-midi, le président de la République s’apprête à remettre des attestations de réintégration dans les grades militaires – à titre posthume – aux familles de quatre d’entre eux. Albert Versquel, François Rebouillat, Aimable Duhamel et Emile Loriaux faisaient partie des quelque 300 000 grévistes réprimés par le gouvernement socialiste de l’époque.
Le réalisateur Jean-Luc Raynaud a été invité ce mercredi à projeter des extraits de L’Honneur des gueules noires (2012). C’est son film qui, il y a deux ans, avait sensibilisé à la question Christiane Taubira, alors ministre de la justice. Aujourd’hui, le documentariste voit dans cette cérémonie de réintégration l’occasion pour François Hollande d’afficher sa solidarité avec une « classe ouvrière » qui serait réticente à voter pour lui, à sept mois de la prochaine présidentielle.
Deux ans après la réparation juridique, quelle valeur a cette cérémonie de réintégration militaire ?
Jean-Luc Raynaud : Je prends cette cérémonie comme une sorte d’accomplissement, après l’accumulation de malheurs tombés sur ces mineurs de 1948. Leur grève a quand même été l’une des plus réprimées du XXe siècle, il y avait non seulement la police, mais aussi l’armée. Le droit de grève était inscrit dans la Constitution depuis 1946, dans la continuité du programme le programme du Conseil national de la résistance. Mais le gouvernement l’a violée.
Ce qui est étonnant, c’est que c’était un pouvoir socialiste, la SFIO [Section française de l’internationale ouvrière], qui s’en était pris à ces mineurs alors qu’ils avaient pourtant relevé la France. Et aujourd’hui, c’est un gouvernement socialiste qui tente de réparer le mal fait par ses prédécesseurs…
De la part de François Hollande, pourquoi réintégrer aujourd’hui ces mineurs dans leurs grades ?
Le fait de vouloir cette réintégration, c’est très bien. Je trouve cela merveilleux pour les familles concernées. Mais cette réintégration aurait pu déjà être faite il y a deux ans, en même temps que la réparation judiciaire permise par Mme Taubira.
Je suppose que la faire maintenant relève en partie d’un effet d’annonce, d’un opportunisme par rapport à ce peuple de gauche qui n’est pas prêt à voter pour François Hollande à la prochaine élection présidentielle. Le plus intéressant, sur le plan politique, c’est la culpabilité des socialistes vis-à-vis de cette classe ouvrière qu’ils ont trahie historiquement.
Quand mon film était passé sur Public Sénat, un sociologue a expliqué à quel point on a observé dans l’histoire un divorce entre le Parti socialiste et la classe ouvrière. Et finalement, le film en est l’expression absolue.
En 1948, quel était le positionnement de ces mineurs ?
A l’époque, la CGT était toute-puissante. Politiquement parlant, ces mineurs étaient communistes ou sympathisants communistes. Jules Moch, le ministre de l’intérieur de l’époque, anticommuniste primaire, était persuadé qu’il y avait derrière eux la main de Moscou. On était au début de la Guerre froide, et il voulait casser les communistes, les brimer.
Ces mineurs avaient pourtant relevé la France à partir de 1945. Ils avaient gagné « la bataille du charbon ». Ils en avaient tiré un statut très avantageux au niveau du salaire, de la sécurité sociale. Lorsqu’ils ont fait grève, trois ans plus tard, ils voulaient protester contre les décrets Lacoste qui cassaient complètement ce statut.
L'Honneur des gueules noires
Durée : 01:17
Cette réintégration militaire est à titre posthume. Comment la vivent les familles concernées, qui recevront des mains de François Hollande la médaille de la présidence de la République ?
J’ai eu récemment au téléphone Pierre Rebouillat, l’un des fils de mineurs. Il trouve ça magnifique, l’honneur de son père est maintenant lavé. J’avais fait ce film pour faire sortir ces familles de l’ombre. Il est rare qu’un documentaire puisse agir utilement sur la réalité. Mais là, le contrat est rempli depuis sa projection à l’hôtel de ville devant Christiane Taubira qui s’était émue, il y a deux ans, de l’injustice ayant frappé ces mineurs.
Maintenant, cette nouvelle cérémonie est importante pour les familles qui ont été poursuivies par le mauvais destin des mineurs. Il y a comme une transmission de la justice, une généalogie qui a fait payer aux enfants une faute que leurs pères n’avaient pas commise. Une injustice au carré, donc.
Pourquoi parlez-vous de transmission ?
Quand les mineurs ont été licenciés, puis pour certains emprisonnés, les familles ont été expulsées de leurs logements en plein hiver. Certaines ont été obligées de quitter la région. Les Charbonnages de France, sorte d’Etat dans l’Etat, avaient poursuivi l’acharnement en passant des coups de fil pour qu’aucun employeur de la région ne les reprenne ensuite. Plusieurs familles ont été obligées de quitter le Nord.
Et pour plusieurs familles, la dégradation militaire avait été vécue comme une infamie absolue au regard du passé des mineurs pendant l’Occupation. Le père de Pierre Rebouillat, par exemple, avait été un résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, il avait été emprisonné par les nazis, puis s’en était sorti… pour finalement faire l’objet d’une dégradation militaire quelques années plus tard.