Ubisoft, agence de voyages en jeu vidéo
Ubisoft, agence de voyages en jeu vidéo
LE MONDE ECONOMIE
La cellule éditoriale de l’éditeur a lancé un grand chantier, il y a deux ans, pour créer des aventures de plus en plus touristiques.
« Si je suis à San Francisco, je veux que ma mère puisse y faire du bateau ou de la moto », assure Serge Hascoët. Ici, Watch Dogs 2, attendu en octobre.
« Le jeu devient moins important pour nous. Ce qui m’intéresse, c’est de faire des mondes qui seraient intéressants en tant que touriste. » Dans le milieu très élitiste du jeu vidéo, peu se seraient osés à une telle déclaration. Mais pour Serge Hascoët, vétéran d’Ubisoft et directeur créatif de l’éditeur français depuis désormais seize ans, la position est assumée : à travers ses productions, il souhaite désormais donner naissance à des mondes virtuels à visiter.
Le voyage, Ubisoft s’en est déjà fait une spécialité, il y a neuf ans, avec la sortie du premier Assassin’s Creed. Il s’agissait surtout d’un voyage dans le temps, celui des Templiers. Depuis, de l’environnement népalais dans Far Cry 4 à la reconstitution de Paris dans Assassin’s Creed Unity en passant par un New York « dystopique » dans The Division, chaque jeu d’Ubisoft se présente comme un lieu de visite.
Depuis deux ans, l’éditeur a franchi une nouvelle étape, en décidant de renoncer en grande partie à la narration classique. « On s’oriente de moins en moins vers des jeux avec un début et une fin, corrobore Elisabeth Pellen, directrice adjointe de la cellule éditoriale, et de plus en plus vers des jeux basés sur un monde, un contexte, et dans lequel le joueur développe son propre style. » La production d’un nouveau titre prenant trois à quatre années, c’est seulement à partir de 2017, et notamment du prochain épisode d’Assassin’s Creed, que les joueurs pourront apprécier ce changement de philosophie.
Plus de 10 000 employés dans le monde
Pour mettre en place des « jeux monde », l’éditeur français a déployé une organisation unique dans l’industrie : 26 studios répartis en France, en Suède, à Singapour ou encore au Canada, plus de 10 000 employés – un record dans le jeu vidéo –, des budgets évalués à plus de 80 millions d’euros, hors marketing, pour chaque superproduction.
Au sein de la division éditoriale, cerveau créatif et plate-forme de l’entreprise, un homme, le Franco-Américain Tommy François, est même chargé de piloter des missions de repérage sur place pour les prochains projets, envoyant une cinquantaine de personnes trois fois à New York pour le jeu The Division, ou pendant une semaine en Bolivie pour étudier le monde des narcotrafiquants pour Ghost Recon Wildlands, prévu en 2017. « Nous avons une base de données numérique, avec des vidéos sur la transformation de la coca, des photos de criminels, des reconstitutions de prisons, des interviews avec des repentis, etc., énumère-t-il.
Ubisoft doit toutefois faire mentir sa réputation, celle de produire des jeux très dépaysants, mais à la structure identique et aux missions répétitives. « On y travaille, reprend-il. Les concepteurs du prochain Assassin’s Creed ont créé un système dans lequel ce que je fais a non seulement du sens à l’instant, mais a également du sens à long terme. Mes actions vont changer le monde. » Outre le prochain épisode de la série, un autre projet encore secret devrait introniser dans les prochains mois cette approche touristique du jeu vidéo. A terme, Ubisoft ne s’en cache pas, le pari est de se transformer en producteur d’expériences de réalité virtuelle lorsque celle-ci se démocratisera – si c’est le cas – à l’horizon 2025.