Première sortie de « L’Harmony of the Seas » au mois de mai, un géant des mers construit par les chantiers navals de Saint-Nazaire. | JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

En grande difficulté il y a quelques années, les chantiers navals de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) suscitent aujourd’hui les convoitises. Après l’italien Fincantieri et le néerlandais Damen, un troisième candidat vient en toute discrétion de se déclarer intéressé par la reprise de ce site historique, dont le carnet de commandes est à présent rempli pour dix ans. Le groupe chinois Genting Hong Kong a approché en ce sens le propriétaire actuel des chantiers, le groupe sud-coréen STX, ainsi que l’Etat français, actionnaire minoritaire avec 33 % des parts, indiquent des sources concordantes.

Contrairement à ses rivaux, Genting Hong Kong n’est pas au départ un spécialiste de la construction navale mais un professionnel des croisières. Coté en Bourse, le groupe appartient à la galaxie Genting, un conglomérat malaisien présent dans les jeux, les plantations et le tourisme. Décidé à s’intégrer en amont, Genting Hong Kong s’est offert quatre chantiers navals en Allemagne début 2016, avec l’ambition d’y construire des bateaux « plus grands que les plus grands paquebots qui naviguent aujourd’hui ». En y ajoutant Saint-Nazaire, dont sont sortis plus d’une centaine de paquebots en cent cinquante ans, dont l’immense Harmony of the Seas en mai, Genting deviendrait un acteur majeur du secteur.

Que STX soit liquidé ou qu’un plan de redressement soit retenu, la vente de la filiale française paraît certaine.

Pour STX, cette troisième marque d’intérêt constitue une bonne nouvelle. Lourdement endettée, la maison mère des chantiers français est passée depuis plusieurs années sous la coupe de ses créanciers, et se trouve à présent menacée de liquidation. La justice coréenne a examiné le 9 septembre un rapport de l’administrateur judiciaire sur la question, et s’est donné quelques semaines pour trancher. Que STX soit liquidé ou qu’un plan de redressement soit retenu, la vente de la filiale française paraît certaine. Le repreneur devrait être choisi en novembre.

Faible rentabilité

Plus les candidats sont nombreux, plus le prix a des chances d’être élevé. Certains évoquent une fourchette de 100 à 200 millions d’euros. Un montant limité par rapport à l’activité de Saint-Nazaire, dont le chiffre d’affaires devrait s’établir autour de 1 milliard d’euros en 2016, mais qui s’explique par la faible rentabilité des chantiers : après plusieurs années de pertes, STX France devrait être seulement à l’équilibre en 2016.

Si le prix constitue un critère décisif vu de Séoul, le personnel et les élus français espèrent que la décision sera surtout prise en fonction du projet industriel. Des perspectives de développement, d’investissement et d’emploi présentées dans chacune des offres. Et sur ce terrain, les syndicats comme les responsables politiques sont unanimes : pas question d’un chinois. « Ce serait la fin de la construction navale européenne, car la Chine a des coûts horaires bien inférieurs aux nôtres, et une grande capacité à apprendre », résume Nathalie Durand-Prinborgne, de FO.

La peur de la Chine est déjà l’un des motifs qui justifient l’hostilité française à l’égard de Fincantieri. Une dizaine d’élus de Saint-Nazaire et sa région venus à Bercy l’ont dit solennellement mercredi 28 septembre au secrétaire d’Etat à l’industrie, Christophe Sirugue. « Il ne faut pas que ce soit Fincantieri, car il pourrait y avoir des transferts de production et de technologie vers l’Italie, mais aussi vers la Chine, avec laquelle travaille désormais ce groupe », plaide le sénateur (PS) de Loire-Atlantique, Yannick Vaugrenard. « Nous privilégions tous la solution Damen », ajoute le député (LR), Christophe Priou.

L’offre menée par Damen, un groupe familial néerlandais, présente l’atout d’associer les deux grands clients de Saint-Nazaire, les armateurs MSC et Royal Caribbean. Chacun d’eux aurait une part identique du capital, entre 5 % et 16,5 %, pour un total inférieur à la minorité de blocage. Le projet séduit les pouvoirs publics. « Mais comment réagira le gouvernement si Genting met beaucoup plus d’argent sur la table, et que STX retient son offre plutôt que celle politiquement plus correcte de Damen ? », s’interroge un professionnel. L’Etat dispose certes d’un droit de préemption sur les parts de STX. De là à l’exercer… L’heure ne paraît guère à une nationalisation de la « Navale ».