Brexit : l’économie britannique fait de la résistance
Brexit : l’économie britannique fait de la résistance
LE MONDE ECONOMIE
L’activité au Royaume-Uni n’a pas lourdement chuté, mais des signes de ralentissement apparaissent.
En apparence, les « brexiters » peuvent se frotter les mains. Cent jours après le vote pour sortir de l’Union européenne, le cataclysme économique n’a pas eu lieu. Les premières statistiques sont rassurantes : si un léger ralentissement de l’économie du Royaume-Uni est perceptible, il est très modéré.
Vendredi 30 septembre, l’indice du secteur des services est venu confirmer cette impression : il est en hausse de 0,4 % en juillet par rapport à juin. C’est un peu moins que le rythme du deuxième trimestre (0,6 %), mais cela reste soutenu. Cet indicateur était très attendu : le secteur des services représente les quatre cinquièmes de l’économie britannique, et il s’agissait de sa première publication pour la période d’après le référendum du 23 juin.
« Une récession sera presque certainement évitée cette année », estime Scott Corfe, le directeur du Centre for Economics and Business Research.
Ces statistiques viennent s’ajouter à une série d’autres indicateurs encourageants. La consommation des ménages a continué comme si rien ne s’était passé, le chômage n’a pas progressé, le secteur de la construction reste solide… La période d’avant le référendum, elle, n’a pas connu de ralentissement, contrairement à ce que craignaient de nombreux économistes. Les statistiques publiées vendredi indiquent une croissance de 0,7 % au deuxième trimestre, et de 2,1 % sur douze mois (juillet 2015-juin 2016).
Darren Morgan, de l’Office national des statistiques, toujours très prudent, peut désormais affirmer sans crainte :
« Ces données viennent soutenir le point de vue qu’il n’y a pas de signe de choc immédiat sur l’économie. »
Comment expliquer cette bonne tenue économique ? Une nouvelle erreur collective des économistes, qui avaient tous averti d’un ralentissement en cas de vote pour le Brexit ? Ou le calme avant la tempête ?
Chute de 10 % de la livre sterling
« Le Brexit n’a pas encore eu lieu et son effet n’est que retardé », estime Iain Begg, professeur à la London School of Economics. Techniquement, il ne s’est en effet rien passé. Le Royaume-Uni reste membre de l’UE et aucune barrière douanière n’a été érigée.
La première ministre, Theresa May, n’a même pas encore fait appel à l’article 50 du traité de Lisbonne, qui lancera officiellement le processus de retrait de l’UE, en ouvrant une période de négociations de deux ans.
L’échéance est repoussée à 2017, probablement entre le premier et le troisième trimestre.
« L’incidence économique va prendre plus de temps à se faire sentir, parce que le Brexit sera un processus plus lent que prévu », estimait, mardi 27 septembre, Minouche Shafik, vice-gouverneure de la Banque d’Angleterre.
Tous les grands instituts économiques parient sur un sérieux ralentissement de la croissance en 2017. Le consensus tourne autour de 1 %, moitié moins que le rythme d’avant le référendum.
Mme Shafik se montre très inquiète :
« Il n’y a pas de doute que l’économie traverse un choc économique. Nous prévoyons environ 0,3 % de croissance au troisième trimestre, deux fois moins [qu’avant le référendum]. »
Selon elle, deux mécanismes de diffusion du Brexit sont en cours. Le premier vient de la chute de 10 % de la livre sterling. Mécaniquement, dans ce pays qui importe plus qu’il n’exporte, cela va renchérir les prix, en grignotant le pouvoir d’achat des ménages. Pour l’instant, l’inflation n’est que de 0,6 %, mais elle devrait monter aux alentours de 2 % au cours du premier semestre 2017, selon la Banque d’Angleterre.
« Un point de vue très naïf »
Le second mécanisme de contamination est encore plus lent. Face à l’incertitude, les entreprises pourraient geler ou repousser leurs investissements. Nissan, qui possède à Sunderland (nord-est de l’Angleterre) la plus grosse usine automobile du pays, en fabriquant un demi-million de véhicules par an, vient d’avertir : elle gèle ses investissements jusqu’à ce que l’issue du Brexit soit claire.
« Nous l’avons dit au gouvernement [britannique] : si vous voulez savoir si nous investirons ou non, il faut que vous nous disiez quelles seront les conditions des relations entre le Royaume-Uni et l’Europe », explique Carlos Ghosn, le patron de Renault-Nissan, dans un entretien accordé à Bloomberg.
Jaguar Land Rover s’inquiète également. « Nous devons tout repenser et voir comment faire face le mieux possible au Brexit », affirme, à Reuters, Ralf Speth, son directeur général. Est-ce que cela inclut aussi ses investissements ? « Tout. »
Selon Reuters, le groupe britannique, qui appartient à l’indien Tata, a calculé que si le Royaume-Uni revenait aux règles de l’Organisation mondiale du commerce, avec des droits de douane de 10 % sur ses exportations européennes, ses bénéfices annuels seraient amputés d’1 milliard de livres (1,15 milliard d’euros).
Le gouvernement japonais a également tiré la sonnette d’alarme. Dans un mémo envoyé à Downing Street, il prévient : « Les entreprises japonaises dont le siège européen est au Royaume-Uni pourraient décider de le transférer en Europe continentale. »
Grand flou
Pour l’instant, face au grand flou des négociations sur le Brexit, les multinationales étrangères préfèrent attendre. Si Londres réussit à obtenir le maintien du Royaume-Uni au sein du marché unique, les menaces ne seront pas mises à exécution. Sinon, le phénomène semble inévitable, même si son ampleur est encore difficile à mesurer.
Du côté des entreprises britanniques, dans cette période d’attente, souvent comparée à une « drôle de guerre » entre Londres et Bruxelles, de nombreux chefs d’entreprise semblent, pour l’instant, relativement détendus.
Possible plan de relance budgétaire
« J’ai passé beaucoup de temps, ces dernières semaines, avec des groupes patronaux, et l’ambiance qui domine, c’est : “le gouvernement et Bruxelles finiront bien par trouver une solution”, témoigne Anand Menon, qui dirige le groupe universitaire UK in a changing Europe. Je crois que c’est un point de vue très naïf. Mais nous verrons bien… »
Enfin, la relative bonne santé de l’économie britannique jusqu’à présent doit aussi beaucoup au soutien apporté par les autorités. La Banque d’Angleterre a réduit, en août, son taux d’intérêt, de 0,5 % à 0,25 %, et elle a entamé un nouveau programme de desserrement monétaire. Cela pourrait n’être qu’un début. « Davantage de stimulus sera nécessaire à un moment donné », estime Minouche Shafik.
A cela s’ajoute un possible plan de relance budgétaire. Philip Hammond, le ministre de l’économie, doit présenter son budget fin novembre. Il a laissé entendre qu’il allait desserrer l’austérité menée depuis six ans.
Si les signes de ralentissement se multiplient d’ici là, son plan de soutien pourrait prendre de l’ampleur.