Alstom Belfort : « Une volonté politique de sauver un symbole fort de l’industrie française »
Alstom Belfort : « Une volonté politique de sauver un symbole fort de l’industrie française »
Philippe Jacqué, journaliste au service économie du « Monde » a répondu à vos questions sur l’annonce des commandes de TGV par l’Etat à Alstom.
Un employé d’Alstom près d’un TGV à Meroux (Territoire de Belfort), le 27 septembre 2016. | SEBASTIEN BOZON / AFP
L’Etat commandera quinze TGV à Alstom pour permettre le maintien de l’activité de son site à Belfort, menacé de fermeture. Un sauvetage express, annoncé mardi 4 octobre, sur lequel le gouvernement s’est montré très volontariste, à l’aube de la campagne pour l’élection présidentielle. Philippe Jacqué, journaliste au service économie du Monde a répondu aux questions des internautes sur le contenu et le financement de ce plan.
Christophe : Comment est-il possible de faire ces achats directs avec d’un côté un code des marchés publics rigide (appel d’offres) et de l’autre l’Europe qui ne permet pas de préférence nationale ?
Philippe Jacqué : Dans le cadre d’un appel d’offres précédent, la SNCF, l’Etat et Alstom avaient signé un contrat-cadre d’achat de rames TGV qui comprenait des achats fermes et des options. L’Etat décide de lever une option d’achat. Ainsi, il respecte le droit de la concurrence européen et le code des marchés.
Pierrette : Est-ce que la fermeture de Belfort ne se posera pas à nouveau une fois tous ces trains construits ?
Le rythme de production d’un TGV est d’environ un par mois chez Alstom. Au début du mois, le carnet de commande permettait de donner du travail aux usines de Belfort (pour les motrices) et de La Rochelle (pour les voitures) jusqu’à 2018. Grâce aux nouvelles commandes, Alstom peut envisager faire durer la production jusqu’en 2020-2021. A cette date, il est prévu que ces usines commencent à produire le TGV de 5e génération, dit TGV du futur. La problématique de la fermeture du site se reposera dans sept ou huit ans mais cela laisse assez de temps à Alstom pour trouver d’autres commandes.
JuLU : Est-ce qu’il n’y a pas une disproportion entre le nombre d’emplois à Belfort et l’argent dépensé pour acheter des trains ?
On ne peut que se réjouir pour les salariés d’Alstom Belfort. Ceci dit, la question se pose, d’autant plus que les 400 emplois menacés à Belfort devaient être relocalisés à Reichshoffen (Bas-Rhin). Initialement, il ne devait pas y avoir de plan social. C’est une volonté politique de sauver un symbole fort de l’industrie française. François Hollande l’a saisi alors que la campagne présidentielle va s’ouvrir.
Pierre : Qui va payer les trains ? Je croyais que la France était en déficit...
En théorie, l’Etat est censé acheter ces trains. Cependant, il a pu par le passé faire payer d’autres. Par exemple, pour les trains Intercités, c’est aujourd’hui une taxe sur le chiffre d’affaires de la SNCF qui finance le déficit d’exploitation de ces trains. Demain, comme les lignes équipées seront Bordeaux-Marseille et Montpellier-Perpignan, peut-être que l’Etat sera tenté de mettre à contribution les régions desservies. C’est une question qui se posera très rapidement.
Cat : N’était-il pas plus judicieux d’utiliser ces fonds publics pour financer une reconversion de l’usine de Belfort (construction de rames de métro, etc.) ?
Aujourd’hui, Alstom dispose de quatre sites d’assemblage de trains en France, dont un spécialisé dans les métros à Valenciennes (Nord). Il n’avait pas besoin d’un second site pour ce type de production. Par ailleurs, le site de Belfort est relativement exigu et ne serait pas adapté à la production de rames de voyageurs (métro, RER, trains…).
Marionnette : Pourquoi n’anticipe-t-on pas les délocalisations ? Quelle analyse faites-vous du comportement d’Alstom ?
Depuis de nombreuses années, Alstom et ses concurrents alertent les pouvoirs publics français sur les baisses de charges pour leurs usines. Malgré ces alertes, le gouvernement n’a pas accéléré les appels d’offres pour de nouveaux matériels. On peut estimer qu’Alstom a fait du chantage à l’emploi, mais sans commande venant de France, il aura du mal à conserver son outil industriel. Pour mémoire, aujourd’hui, l’ensemble des sites français d’Alstom produisent à 40 % pour l’export.
Olivier Rafin : Pour sauver Alstom, on met la SNCF dans le rouge. Où est la logique ?
La SNCF est déjà dans le rouge. Elle est mise à contribution de manière importante mais raisonnable : sur les 700 millions d’euros annoncés de commande, elle devra débourser quelque 200 millions pour six TGV pour lesquels elle était déjà en cours de négociation. L’Etat a accéléré la négociation entre Alstom et la SNCF en demandant à chacun de faire un effort sur le prix final de la transaction. Dans cette affaire, l’Etat a, en un sens, préservé la SNCF en prenant à sa charge l’essentiel de l’achat des TGV.
TrainJuju : A quand un Airbus du rail pour lutter contre les Chinois qui ont regroupé leurs deux constructeurs ferroviaires et d’ingénierie ?
L’idée de rapprocher Alstom et Siemens voire Bombardier est dans l’air depuis de nombreuses années. Le souci, ce serait le coût social d’une telle alliance. Aujourd’hui, l’Europe est en surcapacité de production. Ainsi, si Alstom et Siemens devaient fusionner, cela entraînerait plusieurs fermetures de sites de production. Et on risque alors dix « Alstom Belfort ». En revanche, vous avez raison, il va falloir que les acteurs européens trouvent une parade à l’émergence non seulement de CRRC, le géant chinois du ferroviaire, mais aussi du japonais Hitachi qui sont en train de grappiller les parts de marché en Europe, et donc affaiblissent les acteurs locaux.
Sur le site d’Alstom à Belfort, le 12 septembre. | SEBASTIEN BOZON / AFP
Toto : N’est-ce pas un combat perdu d’avance avec une fermeture reportée quoi qu’il advienne ?
Le gouvernement a travaillé non seulement pour trouver une issue de court terme au site mais aussi une stratégie à long terme : Alstom va diversifier son activité sur place en augmentant la part de la maintenance de matériel ferroviaire (il veut doubler les effectifs, et passer de 80 à 150 personnes). Il va également implanter une nouvelle activité d’assemblage de véhicules électriques (notamment de bus).
Fly : L’Etat ne peut-il pas plutôt relancer le transport ferroviaire, le ferroutage ?
C’était toute l’ambition du Grenelle de l’environnement au début des années 2010. Cependant, la part du ferroutage ou du fret ferroviaire n’a pas cessé de baisser depuis quinze ans. La création d’une écotaxe avait même rendu célèbres les fameux Bonnets rouges qui ont fini par avoir la peau de cet outil de financement du ferroviaire. Toute la difficulté dans ce dossier, c’est la cohérence de l’Etat et de sa politique mobilité. Si vous subventionnez ou aidez largement le secteur des poids lourds (et ses nombreux emplois), vous allez à l’encontre, d’une certaine manière, du secteur ferroviaire.
Francois : Alstom ne doit-il pas aussi construire les TGV de la LGV (Paris)-Tours-Bordeaux ? Où en est ce projet ? Est-il toujours en lice ?
Actuellement, Alstom produit à Belfort et La Rochelle ces 40 rames dont vous parlez. Cette production s’arrête d’ici à 2018-2019.
ttt : Le gouvernement a-t-il pensé à la nationalisation au lieu d’acheter tous ces TGV supplémentaires ?
En 2004, Nicolas Sarkozy avait nationalisé Alstom au bord de la faillite. Depuis, Alstom, qui a cédé sa branche énergie en 2014, va beaucoup mieux. Alstom Transport fait des bénéfices et remporte de nombreux contrats dans le monde. Quand il gagne un appel d’offres aux Etats-Unis ou en Inde, il est obligé de produire l’essentiel du matériel commandé sur place. D’où la difficulté à charger ses douze sites en France. Aujourd’hui, nationaliser ne changerait rien au carnet de commandes de Belfort, La Rochelle ou autre. Ce serait à l’Etat de gérer directement la restructuration du groupe. Seules de nouvelles commandes pourraient maintenir l’activité.