Arnaud Montebourg emménage chez Habitat
Arnaud Montebourg emménage chez Habitat
LE MONDE ECONOMIE
L’ancien ministre du redressement productif est nommé vice-président du conseil de surveillance de la chaîne d’ameublement.
Arnaud Montebourg dans le studio de design d’Habitat, à la fin de janvier 2014. | Thomas Padilla / MAXPPP
Il l’avait promis, c’est désormais chose faite. Débarqué avec fracas du gouvernement l’été dernier, Arnaud Montebourg rejoint le privé. Jeudi 19 mars, l’ancien ministre de l’économie a été nommé vice-président du conseil de surveillance de la chaîne d’ameublement Habitat, reprise en 2011 par le groupe français Cafom et actuellement en plein redéploiement.
« Je vais m’occuper de tous les sujets liés à l’innovation, explique au Monde M. Montebourg. Habitat est une marque emblématique avec un potentiel extraordinaire, qui a fait de la relocalisation en France l’un des axes majeurs de son développement. Ce sont des valeurs que je partage et je compte mettre toute mon énergie au service de cette aventure. »
Concrètement, M. Montebourg ne sera pas salarié de l’enseigne. « Il touchera une indemnité, comme les cinq autres membres du conseil de surveillance », précise Hervé Giaoui, PDG de Cafom et président d’Habitat Design International, la structure de tête des magasins d’ameublement. « Mais il s’agit d’un engagement enthousiaste, assure le chantre du « made in France ». Je veux tenter dans le privé ce que je n’ai pas réussi dans le public, tout en gardant l’esprit d’audace créative que j’ai essayé d’insuffler lorsque j’étais ministre. »
Les prémices de cette étonnante association remontent au 31 janvier 2014, lorsque M. Montebourg, alors ministre du redressement productif, était venu visiter l’atelier de design de la célèbre enseigne, situé à Paris. L’élu socialiste avait notamment vanté les mérites de M. Giaoui, « un génie du commerce », qui venait d’annoncer sa volonté de s’approvisionner avec davantage de produits fabriqués en France.
Un mandat de trois ans
« Après son départ du gouvernement, Arnaud Montebourg m’a rappelé et nous avons dîné ensemble en décembre [2014], raconte M. Giaoui. Il avait manifestement travaillé car il avait plein d’idées sur de nouvelles façons de distribuer de l’ameublement. C’est pour cela que nous lui avons proposé de nous rejoindre : pour nous apporter une vision différente. »
Afin d’éviter tout risque de conflit d’intérêts, M. Montebourg a sollicité l’autorisation de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique avant de rejoindre le marchand de canapés. Il a obtenu son feu vert le 19 février, après un examen d’un mois. La durée de son mandat au conseil de surveillance d’Habitat Design International, qui emploie 831 salariés, a été fixée à trois ans.
Pour enthousiaste qu’il soit, l’homme à la marinière n’a pas choisi la voie la plus facile. Racheté en 2011 au fonds de retournement britannique Hilco, qui l’avait lui-même acquis en 2009 auprès de la famille du Suédois Ingvar Kamprad, le fondateur d’Ikea, Habitat traîne une image de chat noir de l’ameublement. Créée en 1964 à Londres par Terence Conran, l’enseigne a toujours oscillé entre design branché et prix abordables.
Spécialiste de la distribution discount, avec d’importantes franchises But et Darty dans les DOM-TOM et plusieurs sites Internet d’ameublement, Cafom, coté à la Bourse de Paris depuis 2005, a lourdement restructuré le réseau Habitat après son rachat. Plusieurs magasins déficitaires ont été fermés, en France et en Espagne. En 2013, un plan de suppression de 175 postes a été lancé. « Nous n’avons licencié qu’une cinquantaine de personnes, assure M. Giaoui. Les autres ont été reclassées ou sont parties à la retraite. »
72 magasins dans dix-huit pays
Lors de son dernier exercice, clos en septembre 2014, Habitat, qui revendique 72 magasins dans 18 pays, a réalisé un chiffre d’affaires de 138 millions d’euros, en progression de 4 %. Mais il a encore perdu 5 millions d’euros et son retour à l’équilibre, prévu l’an dernier, n’est pas attendu avant l’exercice 2015-2016. « Les attentats de janvier à Paris nous ont fait beaucoup de mal, les magasins ont été désertés, explique le patron de l’enseigne. Nous anticipons une perte de 2 millions d’euros sur l’exercice en cours. »
Pour se relancer, Habitat compte multiplier les ouvertures, en France (Reims, Avignon, Metz, Montpellier) mais surtout en Asie, notamment en Chine, où un premier point de vente a été inauguré en décembre 2014, à Singapour, en Thaïlande, à Hongkong, aux Philippines… Pour limiter les risques, l’enseigne fait à chaque fois appel à des franchisés. « Nous ne sommes pas assez riches pour tout assumer nous-mêmes, les banques sont exigeantes, on fait avec nos moyens », reconnaît M. Giaoui, qui table sur réseau de 80 magasins à la fin de l’année.
Afin de séduire la clientèle asiatique, l’enseigne a fait du « made in France » un axe majeur de son développement. « En Asie, vendre un produit avec le label “fabriqué en France”, cela a beaucoup de valeur », assure M. Montebourg, farouche promoteur des relocalisations lors de son passage à Bercy. Déjà, le groupe travaille avec la marque Le Jacquard français (linge de maison), l’industriel lyonnais Poncin Metal (lampes) ou l’alsacien Céramique culinaire de France (plats). « Plus de 10 % de nos achats sont aujourd’hui réalisés en France, contre 3 % lors de notre reprise de l’enseigne », assure M. Giaoui.
Pragmatique, M. Montebourg ne compte néanmoins pas travailler à plein temps pour Habitat. Le 9 janvier, l’ex-ministre a créé en toute discrétion une société appelée « Les équipes du made in France », installée à Paris. « Il ne s’agit pas d’une société de conseil mais d’une société de constitution d’équipes, précise le Bourguignon. Je réunis des experts, des financiers, des industriels, pour les faire travailler ensemble et créer ou racheter des entreprises. » Selon ses proches, un dossier de reprise serait sur le point d’être finalisé.
De même, M. Montebourg n’entend pas déserter le champ politique, même s’il ne dispose plus de mandat électif. « Mais je m’exprimerai comme un citoyen ordinaire, qui doit gagner sa vie et qui est chaque jour confronté à la vie réelle, plus comme un professionnel de la politique », affirme l’ancien ministre. L’ébauche d’un programme pour 2017 ?