Theranos : les limites de la rupture
Theranos : les limites de la rupture
LE MONDE ECONOMIE
La start-up américaine fondée par Elizabeth Holmes, qui voulait réinventer le métier de l’analyse médicale grâce aux nouvelles technologies, est tombée de son piédestal.
Elizabeth Holmes en septembre 2015 à New York. | © Brendan McDermid / Reuters / REUTERS
Elle voulait défier la maladie, le cancer et la mort avec une petite goutte de sang. Un passage à la pharmacie du quartier, une mini-piqûre au bout du doigt et nous voilà rassurés… ou prévenus.
« Chacun pourra détecter le début d’une maladie et la traiter. Nous voyons un monde dans lequel personne n’aura à dire au revoir trop tôt », assurait Elizabeth Holmes, la main sur le cœur, avec la foi des missionnaires de la Silicon Valley.
A 19 ans, en 2003, sur le campus de l’université de Stanford, elle a créé sa start-up médicale, Theranos. Objectif : réinventer le métier de l’analyse médicale grâce aux nouvelles technologies. Apporter la « disruption », comme on dit dans le numérique, en attaquant un métier protégé, aux marges confortables, avec des tests sanguins dix fois moins chers. L’« ubérisation » du laboratoire médical était en marche.
Valorisée 9 milliards de dollars
La rupture a ses limites. Mercredi 5 octobre, la société a annoncé la fermeture de l’ensemble de ses laboratoires d’analyses et son recentrage sur un nouvel outil de diagnostic sanguin. Mais ce dernier objet n’a pas reçu les agréments nécessaires et le doute flotte désormais sur la pérennité de la plus célèbre jeune pousse médicale de Californie.
Le charme d’Elizabeth Holmes, sa foi dans un avenir radieux et ses premiers résultats ont propulsé son entreprise au firmament. Le vice-président américain, Joe Biden, et le sénateur républicain John McCain se pressaient pour visiter les laboratoires de l’entreprise qui a accueilli, dans son conseil, les anciens secrétaires d’Etat Henry Kissinger ou George Shultz. En 2014, la société a été valorisée près de 9 milliards de dollars (8 milliards d’euros).
Tombée de son piédestal
Mais le temps de l’administration n’est pas celui de la finance. Les autorités sanitaires, puis la presse, ont commencé à se pencher sur l’activité réelle de la société. Des procédures non fiables ont été dénoncées et ont conduit à la fermeture de laboratoires. Le personnel, très changeant, n’avait pas toujours la formation requise. Les industriels du médicament, un temps intéressés, puis la chaîne de pharmacies Walgreens, partenaire de Theranos, ont progressivement quitté le navire.
Ce n’est, bien sûr, pas la première ni la dernière fois qu’une star du numérique tombe de son piédestal. Dans cette économie darwinienne qui prétend changer le monde par la technologie, bien peu y parviennent. A fortiori dans le domaine de la santé, qui obéit à des règles de contrôles peu compatibles avec l’impatience juvénile des acteurs et leur pulsion libertarienne, qui les fait rejeter toute forme de contrôle. Microsoft veut guérir le cancer, Facebook et Google veulent défier la maladie et la mort. Et pourquoi pas se passer un jour de tous ces empêcheurs d’innover en rond, médecins, hôpitaux ou agences sanitaires. Comme le constate Elizabeth Holmes, le retour à la réalité est parfois pénible.