Les serres ont commencé à être détruites le 5 octobre. Le chantier est aujourd’hui à l’arrêt. | JACQUES DEMARTHON / AFP

« On a des bons scénaristes, hein ? » Jérémy Botton ironise, mais le dernier épisode du feuilleton dans lequel est embarquée la Fédération française de tennis (FFT) n’a pas fait rire son directeur général, chargé de l’épineux dossier de l’extension de Roland-Garros, et dont l’institution a pondu jeudi un communiqué bref mais virulent titré « La Fédération française de tennis scandalisée ». Par quoi ? Par le énième rebondissement de cet interminable chantier.

Résumons. En mars, le tribunal administratif (TA) de Paris, saisi en urgence par une galaxie d’associations de défense du patrimoine et de l’environnement, avait ordonné la suspension des travaux dans le jardin des Serres d’Auteuil, où la FFT s’apprêtait à détruire plusieurs serres – mais pas les serres majestueuses de Jean-Camille Formigé –, pour construire à leur place un nouveau court de cinq mille places. Lundi, le Conseil d’Etat a cassé cette suspension, et a autorisé la reprise des travaux par la FFT, qui a instantanément envoyé les pelleteuses.

Jeudi, les pelleteuses ont dû s’arrêter. Sur ordre, cette fois, du tribunal de grande instance (TGI) de Paris, saisi, lui, par les descendants de Formigé, l’architecte ayant conçu le jardin des Serres d’Auteuil. Ces derniers estiment que le droit moral de leur ancêtre est bafoué par la modification d’une partie du jardin construit en 1897.

En trois jours sont donc tombées deux décisions spectaculaires, qui s’annulent l’une l’autre pour aboutir au statu quo, en attendant la prochaine. Enfin, au statu pas tout à fait quo quand même : entre lundi et jeudi, l’intérieur des serres dites « chaudes » – abritant des plantes rares que le projet de la FFT prévoit de déplacer ailleurs dans Paris – et plusieurs dizaines d’arbres ont été détruits. Mais le chantier est désormais à l’arrêt, à nouveau. Et la FFT s’agace.

« Conditions douteuses »

« Le Conseil d’Etat, la plus haute juridiction de l’Etat, nous dit que tout et en règle et qu’on peut reprendre les travaux, et trois jours après, on reçoit une ordonnance du TGI, barrée à la main, raturée, c’est très bizarre », s’étonne Jérémy Botton. Dans son communiqué, la FFT « émet les plus vives réserves sur la validité d’une décision prise dans des conditions douteuses, de manière non contradictoire. Elle s’interroge sur une possible manipulation des faits de la part des opposants. »

« Conditions douteuses », « manipulation des faits »... La Fédération française de tennis s’inquiète. Elle n’était pas au courant que les héritiers Formigé avaient été reçus au TGI jeudi, et craint que leur avocat n’ait profité de ce qu’il n’avait pas de contradicteur pour raconter des énormités au juge. Lequel, en outre, n’était que « remplaçant » dans cette affaire – le juge titulaire était absent de Paris ce jour-là.

« Situation irréversible »

Philippe Zagury, avocat des descendants Formigé, donne sa version des faits :

« On devait se voir le 25 octobre avec la FFT devant le juge du TGI pour discuter du calendrier. Mais on s’est aperçu que si on ne faisait rien rapidement, les serres allaient être détruites, parce que le but de la FFT, c’est de créer une situation irréversible. De détruire les serres et de creuser un trou pour mettre un stade de 5 000 places, parce qu’une fois que ce sera fait, aucun juge ne voudra le détruire. C’est pour ça qu’on a fait une requête en urgence, qui est effectivement une procédure non contradictoire, mais parfaitement admise par le code civil, pour obtenir la suspension des travaux, le temps qu’on puisse débattre de la question de la suspension des travaux ! Si on débat une fois que tout est détruit, ça n’a plus beaucoup d’intérêt. »

La FFT, que la ténacité des opposants continue de surprendre, entend contre-attaquer très vite. « On va déposer ce qui s’appelle une “assignation en référé rétractation de l’ordonnance auprès du même juge pour qu’il revienne sur son ordonnance, explique Jérémy Botton. Ce sera sans doute en début de semaine prochaine. On aimerait a minima défendre notre position, expliquer nos arguments. »

Les serres technique (à gauche) et les serres « chaudes », à droite, à la place desquelles la FFT aimerait construire son « court des Serres » semi-enterré de 5 000 places. | JACQUES DEMARTHON / AFP

Si la FFT est convaincante, on pourrait donc, dès lundi ou mardi prochain, assister à un nouveau rebondissement : le juge du TGI qui vient de décider la suspension des travaux pourrait décider de lever cette suspension. « Ce n’est pas inenvisageable », confirme Philippe Zagury, qui veut bien admettre que le droit français est décidément d’une complexité fascinante : « Ah ça, vous savez, les avocats peuvent s’amuser longtemps. Si la FFT parvient à faire casser la suspension qui vient d’être obtenue, on essaiera de trouver une autre voie de droit pour obtenir de nouveau une suspension rapide. »

Et si, en fin de compte, la procédure engagée par les héritiers Formigé au TGI devait sourire à la FFT, celle-ci ne serait pas tirée d’affaire pour autant. Car l’action des écologistes et des défenseurs du patrimoine auprès du tribunal administratif de Paris est toujours en cours. Ce dernier doit, avant la fin de 2016, rendre sa décision qui, quelle qu’elle soit, pourra entraîner de nouveaux recours. La lutte de l’extension du domaine de Roland-Garros, lutte autant juridique que politique, sociétale, voire philosophique, est loin d’être terminée.