Pétrole : Moscou entrouvre la porte à un gel de sa production
Pétrole : Moscou entrouvre la porte à un gel de sa production
LE MONDE ECONOMIE
Les déclarations de Vladimir Poutine, lundi à Istanbul, ont fait remonter le cours du Baril.
Poutine : la Russie est « prête » à réduire sa production de pétrole
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L’économie russe est mal en point, le pays reste très dépendant des hydrocarbures, l’embargo occidental qui a suivi l’invasion de la Crimée en mars 2014 pèse toujours et la pauvreté gagne du terrain… Mais contre toute attente, un secteur a résisté à la crise : le pétrole.
Déjouant les prévisions faites depuis deux ans par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et les grandes banques d’affaires, la Russie n’a cessé d’augmenter sa production malgré la chute des prix amorcée à l’été 2014. Au point d’atteindre 11,2 millions de barils par jour en septembre, un niveau sans précédent depuis 1989, avant la chute de l’Union soviétique.
C’est dans ce contexte plutôt favorable que le président russe s’est exprimé, lundi 10 octobre, devant le Congrès mondial de l’énergie réuni à Istanbul. « La Russie est prête à se joindre aux mesures pour limiter la production, a déclaré Vladimir Poutine. Dans le contexte actuel, nous pensons qu’un gel ou une réduction de la production de pétrole est le seul moyen pour préserver la stabilité du secteur de l’énergie et accélérer le rééquilibrage du marché. » Cette mesure est susceptible de faire remonter les prix du brut, tombés de 114 dollars en juin 2014 à un peu plus de 50 dollars aujourd’hui.
Les déclarations de M. Poutine ont eu un impact immédiat sur les marchés. Le baril de « light sweet crude » a pris 1,54 dollar (51,35 dollars) à New York et celui de brent de la mer du Nord 1,24 dollar (53,14 dollars) à Londres. Mais il reste bien des étapes à franchir avant un gel, a fortiori une baisse de production. Le ministre russe de l’énergie, Alexandre Novak, doit rencontrer à Istanbul, mercredi, son homologue saoudien, Khalid al-Falih et les autres membres de l’OPEP.
Le président russe Vladimir Poutine lors de son arrivée à l’aéroport d’Istanbul, lundi 10 octobre. | SPUTNIK / REUTERS
Ils poursuivront ainsi les discussions engagées fin septembre à Alger, où le cartel avait décidé le principe d’une baisse de l’ordre de 700 000 barils par jour, soit moins de 1 % de la production mondiale. Objectif : parvenir le 30 novembre, à Vienne, à une baisse coordonnée de la production de l’OPEP (32,5-33 millions de barils), l’Iran, la Libye et le Nigeria devant être exemptés de l’effort. Le ministre saoudien du pétrole s’est d’ailleurs montré très prudent, à Istanbul, et veut éviter que l’excès d’offre se transforme en pénurie. « L’OPEP doit veiller à ne pas comprimer trop fort [la production] et créer ainsi un choc pour le marché. Nous allons être très responsables », a prévenu M. al-Falih.
La Russie s’associera-t-elle à l’OPEP, si tant est que ses membres trouvent un compromis à Vienne ? Il faut prendre la déclaration de M. Poutine avec précautions. Il avait fait la même, début septembre, après sa rencontre avec le vice-prince héritier Mohammed Ben Salmane en marge du G20 d’Hangzhou (Chine). Ryad n’a aucune confiance en Moscou. Et cette méfiance est renforcée par leur opposition radicale sur la résolution du sanglant conflit syrien, la place de l’Iran au Moyen-Orient et l’intervention militaire des Saoudiens au Yemen. Ceux qui croient que la Russie se joindra à l’effort de l’OPEP se bercent d’illusions, notent plusieurs experts.
« Passager clandestin de l’OPEP »
M. Poutine a évoqué une baisse « ou » un gel de la production. M. Novak insiste depuis des semaines sur cette seconde option. « Les Russes la réduiront quand les écrevisses siffleront », résume un spécialiste de la politique énergétique, citant une expression russe. A la fin des années 1990 et en 2008, les prix étaient au plus bas et l’OPEP avait resserré les vannes ; la Russie avait applaudi la décision du cartel mais continué à produire, confirmant son surnom de « passager clandestin de l’OPEP » qui monte dans le train sans billet.
Premier producteur mondial de brut au coude-à-coude avec l’Arabie saoudite, la Russie a pour objectif d’augmenter sa production de 2,2 % en 2016 (546-547 millions de tonnes), indiquaient récemment deux sources anonymes du ministère de l’énergie à l’agence Reuters. Les compagnies mettent en production de nouveaux gisements en Sibérie ou dans l’Arctique. En septembre, les deux géants publics Gazprom et Rosneft ont lancé celui de Vostotchno-Messoïakhskoié dans la région des Yamalo-Nenets, dans le Grand Nord. Le groupe privé Lukoil a aussi développé de nouveaux champs pétrolifères et veut pousser les feux en Irak.
Les compagnies russes ont certes vu leurs profits baisser avec la chute de plus de 50 % des prix du pétrole, mais le baril sibérien est rentable même si le prix du marché tombe sous les 20 dollars. « Les compagnies russes ont des coûts en rouble mais vendent leur pétrole en dollars », rappelle Olivier Appert, conseiller à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Or la devise russe a décroché de 55 % par rapport au billet vert depuis octobre 2014, donnant un avantage compétitif au secteur.
Une plate-forme pétrolière, en mer de Petchora -nord-ouest de la Russie), en mai. | Sergey Anisimov / Anadolu Agency
Les Russes ont continué d’accroître les forages (pour compenser le fort déclin de certains champs) au moment où les compagnies occidentales (ExxonMobil, Shell, BP, Total…) réduisaient leurs investissements de 40 % en moyenne dans l’exploration-production. Total les a ramenés de 26 milliards de dollars en 2014 à 15-17 milliards de dollars en 2017-2020. Le nombre de plateformes de forages s’est effondré aux Etats-Unis, au Canada, en Amérique latine et en Asie-Pacifique.
Pas en Russie, où les pétroliers ont été protégés par le système des taxes et la baisse du rouble. Elle va augmenter très progressivement sa production jusqu’en 2020, prévoit Ronald Smith, senior analyste de Citigroup pour le pétrole et le gaz russe dans une tribune au Financial Times. A Istanbul, le directeur exécutif de l’AIE a prévenu que, sans baisse de production, le retour à l’équilibre offre-demande n’interviendra pas avant le second semestre 2017.