Loi travail, environnement, éducation : les pirouettes de François Hollande
Loi travail, environnement, éducation : les pirouettes de François Hollande
Par Adrien Sénécat, Jérémie Baruch, Maxime Vaudano
Le chef de l’Etat défend sa ligne politique dans une interview à « L’Obs ». Retour sur certaines de ses déclarations.
« En changeant de fonctions, je n’ai pas changé d’idées. Je suis de gauche. J’ai mené une politique de gauche. » François Hollande défend son orientation politique et son bilan dans une interview à L’Obs, à paraître jeudi 13 octobre, mais dont les grandes lignes ont été publiées mercredi sur le site de l’hebdomadaire. Au prix de quelques arrangements avec les faits et quelques tours de manche dont il a le secret.
Sur la loi travail
CE QU’IL A DIT :
« La loi El Khomri est une loi sociale. Elle institue le compte personnel d’activité, elle généralise la garantie jeune, elle renforce le droit syndical dans les entreprises, elle protège les salariés dans les entreprises du numérique, elle favorise le dialogue dans l’entreprise. »
POURQUOI C’EST PLUS COMPLIQUÉ
François Hollande cite des mesures « de gauche » de la loi El Khomri pour en défendre la portée sociale. Dans les faits, les heures de délégation syndicale ont bien été augmentées de 20 % (entre deux et quatre heures de plus, selon la taille de l’entreprise). Certaines mesures « protègent » bien des droits des salariés, comme le fait que les congés pour événements familiaux ne puissent être revus à la baisse par un accord d’entreprise ou de branche, tandis que certains congés ont été revus à la hausse. Autres points positifs pour les salariés : le travail de nuit est désormais considéré comme tel jusqu’à 7 heures – et non 6 heures –, et un « droit à la déconnexion » a été établi (il sera effectif au 1er janvier 2017).
Cependant, le chef de l’Etat se garde bien, avant que L’Obs ne lui en fasse la remarque, de revenir sur les mesures contestées par une partie de la gauche et des syndicats. Par exemple, la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche dans certains domaines (salaires minimums, formation, mutuelle complémentaire, etc.) est une proposition traditionnellement « de droite ». Les candidats à la primaire de la droite veulent d’ailleurs presque tous élargir cette logique d’« inversion de la hiérarchie des normes ». De même, la loi El Khomri a restreint les avantages individuels acquis quand un accord d’entreprise est dénoncé à la seule « rémunération », sans préciser ce qui était pris en compte ou non dans cette notion.
Sur les inégalités fiscales
CE QU’IL A DIT :
« Une politique de gauche, c’est avoir réduit les inégalités fiscales. »
C’EST FLOU
La phrase de François Hollande est volontairement floue. Il évoque à la fois la fiscalité et les inégalités, mais il est étrange de parler « d’inégalités fiscales » : une stricte égalité fiscale consisterait à ce que tout le monde paie l’impôt au même taux. La gauche est en principe favorable au contraire à un impôt plus progressif (où le taux d’imposition des ménages les plus pauvres est inférieur à celui des ménages plus aisés), quand la droite veut plutôt limiter les écarts. Nathalie Kosciusko-Morizet propose par exemple une « flat tax », soit un impôt sur le revenu à taux unique.
On peut en revanche poser la question de la politique fiscale du gouvernement : l’impôt est-il devenu plus progressif depuis 2012 ? En ce qui concerne l’impôt sur le revenu, presque un foyer fiscal sur deux (49,9 %) était imposable en France en 2012. En 2015 – derniers chiffres disponibles – ce chiffre est tombé à 45,6 %.
Cela correspond à une baisse de plus de 2 millions de foyers redevables de l’impôt sur le revenu : il y a donc plus de ménages à faible revenu exemptés de l’impôt sur le revenu à la fin du mandat de François Hollande qu’à son début. Avec 17,1 millions de foyers imposés, on est toutefois largement au-delà du point bas du quinquennat Sarkozy : 15,8 millions en 2009.
Du côté des hauts revenus, le gouvernement a créé, en 2012, une nouvelle tranche marginale d’imposition à 45 % (au-dessus de 152 108 euros pour les revenus 2015), ce qui a augmenté la contribution des ménages aisés.
En revanche, d’autres mesures fiscales de François Hollande n’ont pas aidé les ménages les plus pauvres. Ainsi, les taux normal et intermédiaire de la TVA ont été augmentés, respectivement de 0,4 point et de 3 points, ce qui s’est répercuté sur les achats courants des ménages, sans distinction de revenu. Or, la TVA est l’une des principales sources de revenus de l’Etat, pesant pas moins de 156 milliards d’euros en 2014, l’équivalent d’environ 7 % du PIB.
Sur le nucléaire et les énergies renouvelables
CE QU’IL A DIT :
« Une politique de gauche, c’est avoir […] diminué la part du nucléaire, renforcé les énergies renouvelables. »
POURQUOI C’EST FAUX
La part du nucléaire dans la production d’électricité est passée de 74,8 % en 2012 à 76,3 % en 2015, selon les chiffres de RTE, filiale d’EDF. Dans le même temps, la part des énergies renouvelables est passée de 16,4 % à 16,6 %.
Ce n’est pas surprenant si l’on tient compte du fait que la loi sur la transition énergétique programmant la réduction de la dépendance au nucléaire n’a été votée qu’en 2015, tandis que sa mise en œuvre concrète par la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) est attendue pour… octobre 2016. En attendant, aucun réacteur nucléaire n’a pour l’instant été fermé – et la décision de fermeture ou de prolongation des vieilles centrales renvoyée à 2019.
Les estimations sont en revanche plus optimistes pour l’avenir : selon l’Observatoire des énergies renouvelables, la capacité en énergies solaire et éolienne pourrait doubler voire tripler en France d’ici 2023.
Sur les créations de postes dans l’éducation
CE QU’IL A DIT :
« Une politique de gauche, c’est avoir fait de l’éducation nationale la priorité en créant 60 000 postes alors que, de 2007 à 2012, 80 000 avaient été détruits. »
PROMESSE EN PARTIE TENUE
Il est plutôt juste d’affirmer que 80 000 postes ont été supprimés dans l’éducation nationale pendant le mandat de Nicolas Sarkozy. Au total, 104 360 postes ont été amputés de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur entre 2006 et 2012, selon les chiffres du ministère. Si l’on tient compte uniquement des suppressions de postes décidées sous Nicolas Sarkozy et que l’on exclut les postes créés en urgence à la rentrée 2012 par la gauche, on arrive à une estimation d’environ 80 000 postes supprimés en cinq ans.
Sur les 60 000 postes promis par François Hollande pour l’éducation, le bilan ne peut être que provisoire. Dans l’éducation nationale, qui représente le gros des postes promis (54 000), les recrutements ont pris du retard. Sur la période de 2012 à 2015, le gouvernement prévoyait de créer 31 627 équivalents temps plein (ETP). Il n’en a pourvu que 27 553, soit 87 %, le reste étant à combler en 2016 et 2017, en plus des recrutements déjà prévus. Soit 26 447 postes en deux ans. Il faudra donc attendre la fin du quinquennat pour tirer un vrai bilan.
Autre réserve : ces créations de postes, pour beaucoup réservées à la formation (la moitié des postes promis dans l’éducation nationale), n’ont pas suffi à faire diminuer le nombre d’élèves par classe depuis 2011, dans un contexte de hausse des effectifs. Ce qui explique en partie le décalage entre les créations de postes, réelles, et le ressenti des enseignants qui ont toujours autant d’élèves face à eux, pour la plupart.