Plafonnement de l’impôt sur la fortune : un milliard a été remboursé aux plus riches
Plafonnement de l’impôt sur la fortune : un milliard a été remboursé aux plus riches
Par Patrick Roger
Le nombre de contribuables de l’ISF ne cesse d’augmenter mais les recettes de cet impôt restent stables. En cause, son plafonnement à 75 % des revenus.
Fichu plafonnement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Encore une fois, en 2015, il aura privé les caisses de l’Etat de 1,077 milliard d’euros, retournés directement sur les comptes des contribuables les plus fortunés. Une somme que se sont partagée une petite dizaine de milliers de redevables de l’ISF : 9 575 très exactement.
C’est ce qu’indique la note du secrétaire d’Etat au budget, Christian Eckert, adressée en réponse à une demande du président (Les Républicains) de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Gilles Carrez, révélée par Le Figaro du 11 octobre. Une ristourne correspondant à un montant moyen de 112 480 euros. Mieux, 3 590 foyers fiscaux possédant un patrimoine imposable supérieur à 10 millions d’euros captent à eux seuls 944 millions d’euros de remboursement, soit une somme moyenne de 263 000 euros.
Ainsi, alors que le nombre de contribuables de l'ISF augmente d’une année sur l’autre de plus de douze mille – 342 942 déclarations en 2015 contre 331 010 en 2014 –, le produit de cet impôt, lui, reste quasiment stable : 5,224 milliards d’euros en 2015 contre 5,198 milliards l’année précédente (Le Monde du 10 juin). Et pour cause : les riches chérissent le plafonnement, le gouvernement le maudit, sans toutefois parvenir à assouplir le dispositif actuel, dernier avatar d’une interminable chronique inaugurée en 1988, sous Michel Rocard.
L’ancien premier ministre avait instauré un plafonnement maximum de l’ISF à 70 % des revenus imposables. En 1995, pour éviter que certains contribuables en retirent un bénéfice excessif, Alain Juppé introduit dans la loi de finances un « plafonnement du plafonnement » de telle sorte que celui-ci ne puisse conduire à une réduction de l’impôt supérieure à la moitié de l’impôt dû.
Au fil des ans, la réforme de l’ISF reste un sujet politiquement explosif. Arrivé au pouvoir en 2007, Nicolas Sarkozy, à défaut de supprimer cet impôt, décide de mettre en place un « bouclier fiscal » : la somme des impôts dus par un contribuable, incluant les cotisations sociales (CSG et CRDS), ne pourra excéder 50 % de ses revenus. Un formidable cadeau pour les plus aisés. En 2010, dernière année de l’application de ce bouclier, 6 287 contribuables en avaient bénéficié pour un montant total de 856 millions d’euros, soit une remise moyenne de 136 154 euros.
Une remise de 61 452 312 euros pour Liliane Bettencourt
En 2011, sous la pression de sa majorité et de la crise, alors que le déficit budgétaire n’a cessé de se creuser et la dette publique de s’envoler, l’ancien président de la République se résigne à abandonner le bouclier fiscal. En contrepartie, il relève le seuil d’assujettissement à l’ISF de 800 000 à 1,3 million d’euros, ce qui entraîne une chute de plus de la moitié du nombre de redevables.
Revenue au pouvoir en 2012, la gauche ne touche pas à ce seuil mais instaure une « surtaxe ISF ». La polémique s’envole lorsque sont publiés des chiffres de Bercy faisant apparaître que, cette année-là, 8 810 foyers fiscaux ont été imposés à plus de 100 % de leurs revenus. Sous la contrainte du Conseil constitutionnel, le gouvernement rétablit un plafonnement à 75 % des revenus, assorti d’un certain nombre de garde-fous pour prévenir les montages d’optimisation fiscale. Mais, fin 2013, nouvelle censure du Conseil constitutionnel et il est contraint de revoir son dispositif.
C’est cette situation qui prévaut aujourd’hui et dont le gouvernement n’arrive pas à se dépêtrer. En juin, Le Canard enchaîné publiait une liste – soumise au secret fiscal – de cinquante contribuables ayant ainsi bénéficié d’un abattement moyen de 90 % sur leur ISF. Au premier rang figurait Liliane Bettencourt qui, grâce à une remise de 61 452 312 euros, avait vu son ISF réduit à… zéro euro. Le projet de loi de finances pour 2017 contient bien une mesure destinée à éviter que certains contribuables reversent leurs revenus à des holdings pour qu’ils ne soient pas pris en compte dans le calcul du plafonnement. Cette clause dite anti-abus devrait avoir un rendement de… 50 millions d’euros en 2017. Une goutte d’eau.