Aucun officiel belge n’ose, ou n’osera, affirmer que les attentats du 13 novembre 2015 à Paris auraient pu être évités si les moyens des enquêteurs et des juges du royaume avaient été suffisants. Et si les différents services chargés de la lutte contre le terrorisme avaient collaboré au lieu de cultiver leur manie du secret. Les informations étayées notamment par le Comité de surveillance des polices – le Comité P – confirment pourtant qu’à de nombreuses reprises, les auteurs des attentats n’ont pas fait l’objet de l’attention nécessaire de la part de la police et de la justice belges. Et ce alors même qu’ils semaient des indices quant à leurs projets.

Une commission d’enquête parlementaire a été constituée au printemps, chargée de faire la lumière sur les attentats du 22 mars, à l’aéroport de Zaventem et à la station de métro Maelbeek. Les députés disposent désormais d’une série d’indications précises relatives, aussi, aux attaques du 13 novembre 2015 à Paris, qui impliquaient des terroristes de Molenbeek, souvent en lien avec ceux qui allaient frapper quatre mois plus tard dans la capitale belge.

Treize défaillances

Le rapport du Comité P remis début octobre aux députés détaille au moins treize défaillances dues, selon les cas, à un manque de moyens, un défaut d’attention, une méconnaissance ou une erreur d’appréciation. Ou encore à une multiplication de banques de données, non interconnectées – il en existait vingt au total.

Rapidement dévoilé par la presse nationale, ce document que Le Monde a pu consulter indique que le « Belgium bashing », dénoncé par les autorités politiques et certains médias belges après les attentats de Paris, était en partie justifié.

Dans la liste des manquements figure l’étonnant classement par le parquet fédéral, en juin 2015, d’un dossier concernant les frères Salah et Brahim Abdeslam, faute d’informations suffisantes en provenance des services de police. L’unité antiterroriste de la police fédérale à Bruxelles disposait pourtant de renseignements collectés un an plus tôt quant à la radicalisation des deux frères. Un informateur avait également indiqué qu’ils étaient en lien avec un de leurs copains d’enfance, Abdelhamid Abaaoud, devenu un célèbre combattant de l’Etat islamique en Syrie.

« Signalé » et non « recherché »

Ces renseignements ne seront pas exploités, et le témoin est négligé. Quand le dossier Abdeslam passera du niveau de la police locale à celui de la police fédérale, il ne sera pas davantage analysé, faute du personnel nécessaire affirme le rapport. Des données téléphoniques seront bien collectées mais la liste des appels ne sera pas vraiment examinée. Elle concernait pourtant des conversations tenues entre mars 2014 et la fin février 2015, une période durant laquelle Salah Abdeslam a parlé avec plusieurs de ses complices, la plupart recherchés par la police.

Ce défaut d’attention allait aussi permettre à Abdeslam de voyager impunément dans toute l’Europe, notamment pour convoyer des complices qu’il était allé récupérer à la frontière austro-hongroise. Contrôlé en Autriche le 9 septembre, il ne sera pas inquiété : il est, à l’époque, « signalé » et non « recherché ». Une question sur l’intéressé, posée en mars 2015 par les autorités espagnoles, ne recevra, elle, une réponse qu’après les attentats du Bataclan, des terrasses et du Stade de France…

Surcharge de travail des enquêteurs

Un autre membre des commandos, Bilal Hadfi, qui allait se faire exploser le 13 novembre 2015, aurait sans doute été arrêté à temps si son dossier avait été jugé urgent et prioritaire. Or, il avait été « gelé » – « classé vert » dans le jargon judiciaire belge – en raison d’une apparente surcharge de travail des enquêteurs. Parti en Syrie en février 2015, le jeune homme était rentré en Belgique à la fin août. Repéré par la police locale mais sans que l’information – confirmée en octobre encore – ne soit parvenue à la police fédérale et à la Sûreté de l’Etat (les renseignements intérieurs), qui le recherchaient pourtant.

Différents services avaient donc identifié les frères Abdeslam, Abaaoud et Hadfi. Et le rapport du Comité P autorise à conclure qu’un meilleur suivi des quatre djihadistes aurait probablement permis d’identifier une bonne partie de leur réseau.

Une autre question sera évoquée prochainement par les députés : les services ont-ils correctement évalué les informations qui leur étaient parvenues de services étrangers durant l’été 2015, évoquant des attentats qui pourraient être perpétrés par des « returnees » dirigés par Abaaoud ? Il apparaît, en tout cas, que le parquet fédéral, chargé de la lutte contre le terrorisme, n’aurait pas disposé immédiatement de ces indications cruciales. Il n’en aurait eu connaissance qu’en septembre. Trop tard, sans doute, pour retrouver la piste de combattants de Molenbeek passés trop facilement entre les mailles du filet.