Les oiseaux migrateurs jouent un rôle clé dans la grippe aviaire
Les oiseaux migrateurs jouent un rôle clé dans la grippe aviaire
Par Paul Benkimoun
L’étude d’un consortium scientifique international démontre que le virus grippal H5N8 a bien été disséminé par les migrations d’oiseaux sauvages.
Protéger les élevages de volaille domestique des contacts avec les oiseaux migrateurs n’est pas simple car cela conduit le plus souvent à les confiner dans un espace clos. | DERRICK CEYRAC / AFP
En janvier 2014, une épizootie – l’équivalent animal de nos épidémies – due à un virus grippal H5N8 d’un sous-type particulier frappait des élevages de volailles en Corée du Sud. Rapidement, en 2014-2015, ce virus s’est répandu à travers le monde, tant jusqu’en Europe qu’en Amérique du Nord. Comment expliquer cette vaste propagation, la plus importante pour un virus grippal aviaire depuis 2005, d’autant que c’était la première fois qu’un virus de grippe aviaire hautement pathogène eurasien gagnait l’Amérique du Nord ?
Etait-elle due aux oiseaux d’élevage ou bien à ceux qui voyagent périodiquement au gré des saisons ? Une étude conduite par le Global Consortium for H5N8 and Related Influenza Viruses (Consortium mondial sur le H5N8 et les virus grippaux dérivés) et publiée jeudi 13 octobre dans Science, tranche en faveur de la responsabilité des oiseaux migrateurs.
Ces derniers constituent le réservoir naturel de tous les sous-types de virus de la grippe aviaire. Mais, a priori, l’idée prévalait que les oiseaux migrateurs infectés par un virus de grippe aviaire hautement pathogène étaient trop malades pour voler. Ils ne pourraient donc propager le virus sur leur lieu habituel de migration, notamment aux points d’eau où la contamination d’autres animaux peut se produire.
C’est cette notion, déjà écornée au cours de la dernière décennie, qu’une équipe internationale de scientifiques bat en brèche après avoir analysé des données épidémiologiques, génétiques et ornithologiques.
Le virus H5N8 en cause est un descendant du virus H5N1 hautement pathogène, détecté pour la première fois en 1996 à Guandong (Chine) et devenu endémique dans diverses populations de volailles d’élevage. Le H5N1 a évolué par réassortiment génétique avec d’autres virus grippaux aviaires, aussi bien chez des volailles d’élevage que chez des oiseaux migrateurs.
En quelques mois, en 2005-2006, il s’est disséminé de l’Asie à l’Europe, au Moyen-Orient et à l’Afrique. Ce phénomène d’extension géographique a été attribué au transport de volailles infectées, à des produits issus de ces animaux, ou bien encore à du matériel contaminé par le H5N1.
Des oiseaux migrateurs infectés qui survivent
Cependant, des cas d’animaux sauvages qui auraient pu transporter le virus dans des zones non affectées jusque-là ont été rapportés. « Depuis 2006, nous savons que les oiseaux migrateurs survivent assez bien lorsqu’ils sont infectés et qu’ils pourraient donc jouer un rôle dans la transmission des virus grippaux aviaires », remarque Gilles Salvat, directeur de la santé animale et du bien-être des animaux à l’Agence nationale de sécurité sanitaire agriculture, environnement et travail (Anses).
C’est en 2010 qu’un virus H5N8, possédant des gènes hérités de ce virus H5N1 hautement pathogène, a été détecté sur plusieurs marchés aux oiseaux en Chine. Ce virus et sa descendance ont été désignés par les scientifiques sous le terme de « H5N8 (clade 2.3.4.4) ». Il a été à l’origine d’une grosse épizootie chez des volailles en Corée du Sud lors de l’hiver 2013-2014, avant de s’étendre au Japon, à l’Amérique du nord et à l’Europe (Allemagne et Hollande), qui ont connu à leur tour des flambées entre l’automne 2014 et le printemps 2015.
Le Consortium mondial a analysé les données issues de ces épizooties. « Ce consortium rassemble les meilleures équipes de recherche au monde et leur travail est de grande qualité, souligne Gilles Salvat. De plus, depuis 2006 nous disposons de techniques d’analyse beaucoup plus puissantes et rapides comme cette étude l’illustre. Là, les scientifiques ont pu récupérer des virus aux deux bouts du trajet ce qui a permis de reconstituer la progression géographique. » Le consortium a ainsi pu retracer l’itinéraire du virus au cours de cette période : il épouse deux voies de migration circumpolaires des oiseaux sauvages.
Dans le premier cas, le virus a suivi la route des migrateurs partant de la côte orientale de l’Asie et de la péninsule coréenne et se dirigeant vers le Nord, en direction de la côte arctique du continent eurasien, puis vers l’Ouest et l’Europe. Dans le second cas, il est toujours parti de la péninsule coréenne mais s’est orienté à l’Est, à travers le détroit de Béring avant de mettre cap au Sud le long du littoral nord-ouest du continent américain, vers le Canada et les Etats-Unis.
Déterminer la provenance et l’itinéraire de tels virus
Il n’y a pas eu d’extension entre l’Europe et l’Amérique du Nord, affirme le Consortium. La transmission a pu se faire par contact direct avec des oiseaux sauvages infectés au sein d’une population aviaire, ou bien par contact avec des matériaux souillés par des fientes d’animaux malades.
Dans un article de commentaire accompagnant l’étude du Consortium, Colin Russell (département de médecine vétérinaire, université de Cambridge, Royaume-Uni), précise que « malgré une dissémination efficace parmi les oiseaux sauvages d’Amérique du Nord, les virus H5N8 n’y ont pas été détectés depuis la mi-2015, une extinction apparente encore mal comprise ».
Mettre en évidence la provenance et l’itinéraire de tels virus hautement pathogènes de la grippe aviaire est évidemment une tâche importante, mais les auteurs de l’étude ont conscience des difficultés de surveillance au sein de la faune sauvage. « Cela revient à chercher une aiguille dans une botte de foin, car souvent il ne s’agit que de quelques individus infectés légèrement ou modérément au sein d’une population beaucoup plus vaste », confirme Gilles Salvat. La difficulté est encore accrue dans le cas présent car les zones où se retrouvent ces oiseaux migrateurs sont situées très au Nord, loin de là où se trouvent les dispositifs de surveillance.
« La protection contre les oiseaux sauvages infectés n’est pas commode : on ne peut pas désinfecter les lacs et autres zones humides, reconnaît Gilles Salvat. Le mieux est donc de protéger les élevages des contacts avec les oiseaux migrateurs. Ce n’est pas simple car cela conduit le plus souvent à confiner la volaille domestique. C’est de toute façon ce qui est fait en Europe du Nord du fait des températures, mais cela soulève des difficultés par exemple pour des poulets censés être élevés en plein air. »
C’est également la conclusion du Consortium qui invite aussi à « surveiller le gibier d’eau aux carrefours des routes de migration vers les zones d’hivernage en Europe, en Asie et en Amérique du Nord ».
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