David Bowie, l’incarnation du « dandy british »
David Bowie, l’incarnation du « dandy british »
Par Philippe Bernard (Londres, correspondant)
L’artiste britannique mort à 69 ans s’inscrivait dans la lignée des personnages hors norme que produit la société anglaise.
David Bowie, en janvier 1974. | AP
David Bowie, dont la mort, à l’âge de 69 ans, a été annoncée lundi 11 janvier, n’avait pas attendu de se draper dans un manteau aux couleurs de l’Union Jack, en 1997, sur la pochette de son album Earthling, pour être considéré comme une icône typiquement britannique, entre chic et provocation.
Né à Brixton, banlieue populaire au sud de Londres, puis élevé à Bromley, au sud-est de la capitale, David Jones, dit « Bowie », s’inscrit dans la lignée des personnages hors norme, à la fois raffinés et subversifs, que produit régulièrement la société anglaise. Deux siècles après George Brummell, dit « Beau Brummell », pionnier du dandysme et de l’élégance masculine, David Bowie avait été désigné, en 2013, comme « l’homme le mieux habillé de l’histoire britannique » par un jury d’historiens et d’experts de la mode réuni par la BBC, surpassant rois, reines, et personnalités politiques.
Bien qu’ayant vécu longtemps aux Etats-Unis, la rock star peut être considérée comme l’héritière des figures britanniques qui, à l’instar de l’écrivain Oscar Wilde, ont bousculé les codes de bienséance de la société traditionnelle, non seulement par leur créativité esthétique, mais aussi par leur personnage et leur mode de vie.
« Mépris pour le machisme de rigueur dans la pop music »
David Bowie à Wembley à Londres en 1995. | STEVE DOUBLE/CAMERAPRESS/GAMMA RAPHO
« Le flirt [de David Bowie] avec des codes sexuels non conventionnels dans les années 1970 a ouvert la voie à tout un mouvement de protestation qui prolonge la colère provoquée par la répression contre Oscar Wilde dans l’Angleterre victorienne », écrit Stan Hawkins, professeur de musicologie à l’université d’Oslo, dans son livre Le Dandy pop britannique. Masculinité, musique populaire et culture (Ed. Ashgate. 2009). « En réincarnant l’androgynie et le travestissement par son raffinement intellectuel, Bowie n’a pas seulement rejeté les contraintes de la norme hétérosexuelle, il a manifesté son mépris pour le machisme de rigueur dans la pop music de l’époque. S’inscrivant dans la lignée de Wilde, il a ridiculisé les normes de genre (…) par des formes de représentations audacieuses conçues pour choquer et amuser. (…) Le Londres des swinging sixties avec ses happenings incessants était son terrain de jeu. (…) Bowie s’est glissé dans le rôle du dandy pour créer une figure d’outsider des temps modernes, un messie homosexuel venu de l’espace qui a suscité un culte et de nombreuses imitations. »
Le refus de l’ordre établi s’est manifesté en particulier lorsque Bowie, en 2000, a refusé d’être décoré commandeur de l’ordre de l’Empire britannique (l’équivalent de la Légion d’honneur française), un honneur réservé par la reine à ceux qui « se sont distingués par leur contribution innovante » au pays. « Je ne comprends vraiment pas à quoi ça sert », avait-il simplement dit.
En 2003, la rock star a de même refusé d’être anobli par la reine. Contrairement à Mick Jagger, à Paul McCartney ou à Elton John, il ne voulait pas se faire appeler « Sir ». « Je n’ai jamais eu l’intention d’accepter quelque chose de semblable, avait-il alors déclaré. Ce n’est pas pour cela que j’ai passé ma vie à travailler. » Interrogé sur le point de savoir s’il était contre la monarchie, Bowie avait prudemment répondu : « Je pourrais seulement répondre à cette question si je vivais dans ce pays [le Royaume-Uni]. »
Populaire auprès des femmes au foyer comme des jeunes
La force de Bowie le rebelle est d’être aussi populaire au Royaume-Uni chez les femmes au foyer que chez les jeunes en révolte contre la société, comme en témoignent les hommages extensifs rendus lundi par tous les médias, les journaux rock branchés comme les tabloïds conservateurs.
« J’ai grandi en écoutant et en regardant le génie de la pop David Bowie », a commenté le premier ministre, David Cameron, en déplorant « une énorme perte ». De son côté, Jeremy Corbyn, le chef du Labour, a rendu hommage à « ce que représente [Bowie] dans la culture du pays ».
A la BBC, l’archevêque de Canterbury, Justin Welby, a évoqué « cette personne extraordinaire », se rappelant l’époque où, « dans les années 1970 », il « [s]’asseyait pour écouter ses chansons indéfiniment en savourant ce qu’il était, ce qu’il faisait ». Et l’astronaute britannique Tim Peake, actuellement dans l’espace et dont le surnom de « Major Tim » vient de l’abum Space Oddity, de Bowie, s’est déclaré « attristé que David Bowie a [it] perdu sa bataille contre le cancer ».
Prince de l’ambiguïté
En juin 2015, la chanteuse galloise Charlotte Church, participant à une manifestation contre la politique d’austérité du gouvernement conservateur, s’était dite « fière d’être britannique à cause du Système national de santé [gratuit] et de David Bowie, pas à cause de l’Union Jack ».
Pourtant, en prince de l’ambiguïté, le chanteur avait posé de dos, en 1997, drapé dans un manteau aux couleurs du drapeau britannique – mais lacéré –, contemplant la verte campagne anglaise sur la couverture de son album Earthling.
Ce manteau, conçu par le styliste Alexander McQueen, mort en 2010, mariage entre la tradition du tailleur britannique et l’esthétique punk, est l’un des clous de l’exposition « David Bowie is… » qui a déjà attiré plus de un million de visiteurs lors de sa présentation au Musée Victoria et Albert de Londres, en 2013, puis lors d’une tournée triomphale, notamment en 2015 à la Philarmonie de Paris.
Symbole de la popularité planétaire de l’idole britannique, cette exposition musicale est actuellement visible au Musée de Groningue (Pays-Bas), dernière étape après Toronto (Canada ), Paris et Melbourne (Australie).